Tous les jours, je me demande - comme d'autres présentateurs de journaux radio ou télé j'imagine -, comment l'information, passée par mon filtre et restituée par mes mots, mon intonation, ma rythmique et mon attitude corporelle, est reçue dans les foyers ... les lettres et autres courriels que je reçois de téléspectateurs – énervés, amusés, circonspects, outrés, désobligeants, insultants, enthousiastes, ... - ne me permettent pas de répondre complètement à cette question puisque leur intervention ne concerne le plus souvent qu'un ou plusieurs lancements ... je reçois rarement des remarques sur l'ensemble de ma prestation ...
En est-il de même pour un comédien ? Je l'ignore ... à vrai dire j'aimerais bien poser la question – celle-ci et d'autres d'ailleurs – à certains d'entre eux que, secrètement, j'admire pour des prestations bien précises ...
Prenons Robin Renucci par exemple ... allez savoir pourquoi je me souviens surtout d'un film dans lequel il a joué : États d'âme de Jacques Fansten – n'étant pas cinéphile, me voilà obligé de vérifier le nom du réalisateur -, l'histoire de jeunes gens qui fêtent l'élection de François Mitterrand le 10 mai 1981, place de la Bastille ... Cinq ans plus tard, nous les retrouvons changés, plus réalistes ... Je pourrais bien sûr citer aussi Escalier C de Jean-Charles Tacchela, rediffusé dernièrement sur une excellente chaîne de télévision franco-allemande – si vous avez trouvé, appelez-moi vite - ...
Les années passent et j'entends, au détour d'une phrase, le nom de Robin Renucci ... l'homme n'a pas l'air d'être du genre à intervenir sur tout et n'importe quoi ... j'aime les gens qui ne se sentent pas obligés de parler à tort et à travers pour montrer qu'ils existent et qu'ils ont surtout des neurones ... est-ce à dire que Robin Renucci est un homme discret ? Ne le connaissant pas je me garderai bien de tout commentaire ... mais j'ai un a priori positif concernant l'homme ...
Je pourrais bien sûr confirmer ou infirmer cette idée en me rendant un dimanche ou un lundi, avant le 6 avril, à la Comédie des Champs-Élysées à Paris où, comme Bernadette Lafont et Xavier Gallais, Robin Renucci vient lire des extraits de À la recherche du temps perdu de Marcel Proust ...
Si, comme moi, vous avez un emploi du temps pour le moins chargé, vous pourrez vous « consoler » de ne pas voir Robin Renucci en chair et en os en l'écoutant sur CD audio ... qu'il me soit permis ici de rendre grâce à la maison Thélème qui a fait lire l'intégrale de Proust à des comédiens d'immense talent ... j'ai bien dit l'intégrale : 111 CD, soit 140 heures d'écoute, de joie immense à savourer un texte magistral lu par des immenses acteurs ...
Dans une interview faite pour la promotion du spectacle à la Comédie des Champs-Élysées, le très élégant – ce qualificatif ne concerne pas seulement, à mes yeux, son goût vestimentaire - Robin Renucci dit la chose suivante : « Nous avons un grand plaisir à pouvoir communiquer, aux gens qui viennent nous voir, un temps arrêté dans cette Recherche du temps perdu de Marcel Proust, un moment où ils viennent, pour eux-mêmes, jouir d'un moment du temps qui se pose. » ... l'auditeur attentif que je suis pourrais dire la même chose à propos de sa prestation sur CD ...
Si ce comédien cherche à se fondre dans l'environnement proustien – ce qu'il fait avec brio – il donne aussi parfois l'impression de faire valoir une certaine étrangeté ... c'est comme s'il souhaitait attirer l'attention de l'auditeur sur un message éventuellement caché, comme si, tout en servant somptueusement le texte il arrivait à nous faire lire entre les lignes ...
Se procurer ces CD est un bon moyen d'abord de relire Proust – j'ai, du coup, acheté quatre volumes de Proust dans la Pléiade – mais de découvrir aussi différentes façons d'aborder un texte ... il serait bien étonnant qu'une version ne trouve pas grâce à vos oreilles et ne vous donne pas envie de vous replonger, comme moi, dans ce monument littéraire français ...
Michaël Lonsdale et André Dussolier sont, eux, dans un autre registre à mon sens ... comme s'ils cherchaient à se faire les porte-voix de ce monde bourgeois ... en s'en détachant avec une finesse extrême ...
Depuis que je l'ai vu, il y a quelques années, dans une pièce intitulée Le chemin solitaire d'Arthur Schnitzler, mis en scène par Luc Bondy au théâtre du Rond-Point, j'ai une vraie estime pour André Dussolier que je ne connais pas personnellement non plus ...
J'aime ici la douceur de son timbre de voix et ses « imitations » de Madame Verdurin ... il y a comme une délicieuse malice qui se dégage de lui ... avec ce comédien, il me semble qu'on entre chez les Verdurin sur la pointe des pieds ... Dussolier nous sert de guide ... on est ici dans la pédagogie ... oui, avec André Dussolier, on est dans l'éducation joyeuse ...
Bref, c'est du grand art ... la maison Thélème a effectué une vraie mission de service public même si l'expression ne compte plus aux yeux des gestionnaires qui nous gouvernent ...
Toujours à propos d'André Dussolier : j'ai emprunté à la médiathèque André Malraux de Strasbourg un DVD intitulé Monstres sacrés / Sacrés monstres qui est la captation d'un spectacle donné en 2005, je crois, au théâtre Molière à Paris ...
Le comédien se livre à la récitation d'extraits d'auteurs français classiques ...
Il faut d'abord le voir feindre la perte de mémoire, faire mine de ne plus se souvenir si un extrait est du Racine ou du Corneille ... Il faut l'admirer quand il fait des mauvaises liaisons ... Il faut déguster ces moments où il marche sur scène de façon grotesque ...
Le comédien aux allures british excelle dans l'art de la rupture tranquille ... car derrière, il y a des moments inoubliables : La mort du loup d’Alfred de Vigny. Lucie d’Alfred de Musset - que l'on voit dans les yeux d'André Dussolier - Ruy-Blas ou Les Contemplations de Victor Hugo ...
L'entendre dire « On s'étudie trois semaines, on s'aime trois mois, on se dispute trois ans, on se tolère trente ans et les enfants recommencent. » (les mots sont de Hippolyte Adolphe Taine) ou encore « La chaîne du mariage est si lourde qu'il faut se mettre à deux pour la porter. » (Alfred Capus) est une volupté de fin gourmet comme dirait Courteline ...
Je vous conseille vivement de faire des pauses dans le visionnage et d'aller sur internet pour remettre la main sur l'original ... découvrir par exemple que tels mots sont de l'Abbé de Lattaignant ... que d'autres sont de Jacques Prévert ...
Une démarche plutôt ludique à laquelle je me suis livré ce soir ... de quoi maintenir les neurones en éveil et stimuler un peu plus sa mémoire ...
Oui, vraiment, tout cela m'a véritablement enthousiasmé ...
Et voilà que je me mets à rêver ... André Dussolier, Robin Renucci et Michaël Lonsdale sont à ma table ... la conversation s'engage ...
Excusez-moi, je vous laisse ...