Mon père me racontait une histoire, qui se passait pendant la guerre. Il s'agissait d'une cargaison de pantalons, qu'un trafiquant vendait au marché noir. Son acheteur trouvait ensuite un nouveau client, qui rachetait le lot un peu plus cher. Après plusieurs transactions équivalentes, les pantalons finissaient par revenir au vendeur initial, qui les reprenaient deux fois plus cher que le prix qu'il avait obtenu initialement. Ne trouvant alors plus d'acheteur, il s'avisa d'ouvrir les cartons, pour découvrir avec stupéfaction que les pantalons n'avaient qu'une seule jambe ! Furieux, il s'en retourna vers son vendeur, lequel lui répondit avec aplomb qu'il ne s'agissait pas de pantalons pour porter, mais de pantalons pour vendre.
Quel rapport avec la crise des marchés financiers de cet été ? Il y a plusieurs analogies.
Tout d'abord, on voir que tant que l'on trouve un acheteur pour vous racheter un peu plus cher ce que vous venez d'acquérir, tout va bien. Mais si plus personne ne veut racheter, et que l'on est contraint de garder le produit, on constate alors, en le regardant de près, qu'on a peut-être payé trop cher. Sur le marché, quand la rentabilité d'un instrument dépend étroitement de la capacité à le revendre rapidement, on entre dans la zone risquée. C'est ce que l'on a vu sur beaucoup de CLO, CDO et autres ABCP, sans compter les titrisations sur des créances déjà titrisées. Lorsque le rendement ne couvre plus le risque, alors c'est la plus-value qui est supposée boucler la rentabilité. Cela implique de pouvoir trouver un acheteur.
Deuxième analogie : la liquidité n'est pas garantie. Créer un produit complexe, très bien. Avoir des vendeurs pour ces produits, facile. Mais trouver des acheteurs, c'est bien là que le problème se complique. Dans certains cas, quel que soit le prix, il n'y a plus de marché; le problème n'est même plus de revendre à perte, le problème est qu'on ne peut plus revendre. Pendant le krach de 1987, même sur les plus grandes valeurs américaines, IBM, GE et autres, il n'y avait pas de cotations. Sur les marchés financiers, on peut se couvrir contre le risque de marché, de taux, de change, de volatilité, de variation des matières premières, etc... Mais il y a un risque contre lequel on ne peut pas se couvrir, c'est celui de la liquidité du marché : quand il n'y a plus d'acheteur, quand on ne cote plus, quand il n'y a plus de prix, on ne peut plus rien faire. Il ne reste plus qu'à espérer que la FED fournira des liquidités en prenant n'importe quel papier en garantie, même ceux dont plus personne ne veut, comme elle l'a fait le 16 août. Et on se retrouve avec des sicav de trésorerie dynamique, supposées rapporter un petit peu plus que le taux monétaire au prix d'un léger risque de variation à court terme, que la BNP Paribas décide de fermer pendant 2 semaines car elle ne peut pas se débarasser du papier qui y est logé, et donc est dans l'impossibilité de répondre aux demandes de rachat de parts tout en maintenant l'égalité des porteurs.
Troisième analogie, c'est la crise de confiance. Quand tout va bien, on achète sans trop regarder, surtout si le vendeur est un établissement réputé et que Moody's ou Fitch a donné un AAA au papier concerné. Il importe cependant de se rappeler que la note ne vaut que dans un environnement de marché normal, et que d'autre part, c'est le marché qui, in fine, met un niveau de prix en face de chaque note, lequel prix est, et c'est heureux, beaucoup plus volatil que la note.
Finalement, tous les arbitragistes vous disent que ce qu'ils détestent le plus, c'est de se retrouver sur une jambe lorsqu'ils font une transaction. Où l'on retrouve notre histoire de pantalons ...