Grosso modo, je trouve tentant de résumer la carrière de U2 à plusieurs périodes, qui forment toutes (comme c'est commode !) des trilogies :
1/ première période, que j'appellerais celle de "l'engagement" : influencés par le punk et la new wave (genre Television), révoltés par le contexte politique de leur pays, l'Irlande, les quatre membres de U2, très jeunes, pondent Boy (1980), October (1981) et surtout War (1983).
Avec des titres ultra-percutants tels "I Will Follow", "Gloria", "Sunday Bloody Sunday" ou "New Year's Day" ces albums, produits par Steve Lillywhite, propulsent U2 au rang de groupe rock phare du début des années 80, groupe par ailleurs hyper talentueux sur scène (comme l'immortalise le très bel enregistrement Under A Blood Red Sky).
2/ deuxième période, que j'appellerais celle de "la contemplation" : finis les hymnes écorchés sur fond de guerre civile irlandaise, U2 élargit ses horizons vers les Etats-Unis et redécouvre tout à la fois la country, le folk, le blues, le jazz. Dès 1984 avec The Unforgettable Fire, album de transition, U2 change son fusil d'épaule et s'entoure des producteurs Daniel Lanois et Brian Eno. C'est en 1987 que sort leur chef-d'œuvre The Joshua Tree, suivi l'année d'après par Rattle & Hum qui est un mélange iconoclaste et inventif de titres originaux, de reprises et de titres live, au cœur de l'Amérique d'Elvis, de John Coltrane, de Bob Dylan et de B.B. King.
Alors qu'au même moment on est à fond dans les eighties et leurs caricatures, U2 fait la part belle aux hits interplanétaires et pourtant ultra mélodiques et inspirés tels "Pride", "Where The Streets Have No Name", "With Or Without You" ou encore "Desire".
3/ troisième période, que j'appellerais celle de "la conceptualisation" : conscients de leur statut de plus grand groupe rock de la planète, conscients aussi d'une nouvelle période qui s'ouvre pour le rock et plus généralement la musique de variétés (axée autour de la peopolisation, du business et de l'industrie), U2 se réinvente complètement en devenant un groupe ironique, second degré et décalé, ce qui ne l'empêche pas de pondre un nouveau chef-d'œuvre en 1991, Achtung Baby.
Les Irlandais sont allés enregistrer leur album dans un Berlin en pleine mutation (le mur est tombé en 89, faut-il le rappeler ?), toujours sous la houlette d'Eno et Lanois mais avec le concours de Flood : ils en profitent pour expérimenter de nouvelles sonorités, de nouveaux plans (comme le manifestent "The Fly" ou "Mysterious Ways"), sans pour autant rien céder aux ballades mélancoliques ("One", "Love Is Blindness").
Parallèlement à cet album génial, U2 se lance dans une tournée spectaculaire et innovante, un sommet dans l'histoire du rock, le Zoo TV Tour. Des écrans géants diffusant des slogans ironiques ou des images de tous ordres manifestent l'avènement ultime de la société du spectacle et le triomphe écrasant de la télévision, alors que Bono cède par moments la place à son alter ego maléfique MacPhisto.
U2 devient ainsi un groupe postmoderne avec un recul moqueur et distancié sur lui-même et sur la société dans laquelle nous vivons tous. Il en profite pour faire réfléchir sans pour autant sombrer dans le "truc à message", ce qui est méritoire, surtout pour un groupe de rock !
En 1993 sort le successeur d'Achtung Baby, le très surprenant Zooropa qui pousse encore plus loin les expérimentations tentées sur le précédent opus et va même jusqu'à incorporer des influences electro, dance et acid sur plusieurs titres ("Numb", "Lemon" ou "Daddy's Gonna Pay For Your Crashed Car"). Zooropa va sans doute dérouter une partie des fans historiques de U2, je le considère pourtant comme le dernier grand album du groupe.
Après quatre ans sort en effet, en 1997, le disque Pop. Un disque qui baisse de niveau (même si, avec le recul, on était encore dans un bonne dynamique) et qui finalement ressasse un peu les sonorités engrangées par Achtung Baby. Plusieurs bons titres (dont "Discotheque", "If You Wear That Velvet Dress" et "Wake Up Dead Man") mais un album qui semble marquer un début de déclin pour le groupe.
4/ Enfin, quatrième et dernière période que j'aurais carrément appelé "la décadence" s'il n'y avait eu la sortie de No Line On The Horizon, un album qui relève un peu le niveau.
En effet, je vais sûrement paraître un peu dur mais je dirais volontiers que All That You Can Leave Behind (2000) et How To Dismantle An Atomic Bomb (2004), malgré le très bon single "Vertigo", sont des semi-foirades qui n'apportent rien à la carrière du groupe : d'un point de vue artistique s'entend, car ce sont des succès commerciaux.
L'inspiration de U2 s'émousse complètement, l'inventivité du groupe se réduit comme peau de chagrin, on se dit qu'il est temps que le quatuor tire sa révérence avant de sombrer totalement.
Vient alors No Line On The Horizon en ce début d'année 2009 qui, sans être un grand disque, loin s'en faut, est malgré tout à mon sens moins mauvais que les deux précédents. La critique de l'album dans ma prochaine chronique ! (trop fort le cliffhanger)