On achève bien les cochons...

Publié le 25 mars 2009 par Duncan
CJCE, Arrêt du 24 mars 2009, C-445/06, Danske Slagterier.
Le principal intérêt de cet arrêt réside dans les précisions apportées par la Cour sur les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité extracontractuelle des Etats membres en cas de violation du droit communautaire.
Une association danoise d'importateurs de viande de porc se plaignait des dommages qu'elle avait subi du fait de la législation allemande sur l'importation de cette viande. En effet, il apparait que cette législation était contraire à la directive directive 64/433 (Voir arrêt C-102/96).
La société danoise a donc introduit une action en responsabilité contre l'Etat allemand pour récupérer les sommes perdues à cause de cette loi contraire au droit communautaire. La juridiction allemande saisie pose plusieurs questions à la CJCE:
  1. Est-ce que la transposition ou l’application incorrecte d'une directive met le plaignant dans une situation juridique susceptible de leur permettre de mettre en œuvre un droit à réparation du fait de la responsabilité de l’État en raison de la violation du droit communautaire et si, dans ces circonstances, ils peuvent invoquer une violation de l’article 28 CE pour fonder un droit à réparation du fait de cette responsabilité de l’État.
  2. Est-ce que le droit communautaire impose que, lorsque la Commission des Communautés européennes a introduit une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE, le délai de prescription du droit à réparation du fait de la responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire prévu par la réglementation nationale soit interrompu ou suspendu pendant cette procédure, dès lors qu’il n’existe pas dans cet État de voie de droit effective permettant de le contraindre à transposer une directive?
  3. Est-ce que le délai de prescription d’une action en responsabilité de l’État en raison d’une transposition incorrecte d’une directive ne commence à courir, indépendamment du droit national applicable, qu’à partir de la transposition intégrale de cette directive, ou si ce délai commence à courir, conformément au droit national, à compter de la date à laquelle les premières conséquences préjudiciables de cette transposition incorrecte se sont produites et que des conséquences préjudiciables ultérieures de celle-ci sont prévisibles?
  4. Est-ce que le droit communautaire s’oppose à une règle telle que celle prévue à l’article 839, paragraphe 3, du BGB qui prévoit qu’un particulier ne peut obtenir la réparation d’un dommage dont il a omis, intentionnellement ou par négligence, de prévenir la survenance en utilisant une voie de droit?
Sur la première question, la Cour considère que les particuliers qui ont été lésés par la transposition et l’application incorrectes des directives 64/433 et 89/662 peuvent se prévaloir du droit à la libre circulation des marchandises afin de pouvoir engager la responsabilité de l’État en raison de la violation du droit communautaire. Selon la Cour, "la libre circulation des marchandises est (...) l’un des objectifs de ces directives qui, à travers l’élimination des disparités existant entre les États membres en matière de prescriptions sanitaires pour les viandes fraîches, visent à favoriser les échanges intracommunautaires. Le droit conféré par l’article 28 CE se trouve ainsi précisé et concrétisé par lesdites directives" (pt 23).
Sur la seconde question, la Cour considère que le droit communautaire n’exige pas que, lorsque la Commission a introduit une procédure en manquement au titre de l’article 226 CE, le délai de prescription du droit à réparation du fait de la responsabilité de l’État pour violation du droit communautaire prévu par la réglementation nationale soit interrompu ou suspendu pendant cette procédure. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour procède à une analyse, à l'aune des principes d'effectivité et d'équivalence, de la législation allemande en matière de prescription. En l'absence de règlementation communautaire sur cette question, il appartient en effet aux Etats membres de définir leurs règles nationales en ce domaine, à condition qu'elles ne soient pas moins favorables s'agissant d'actions découlant d'une violation du droit communautaire par rapport aux actions de droit national (équivalence) et qu'elles ne rendent pas en pratique impossible ou excessivement difficile ces actions (effectivité).
Or, une constatation en manquement n'est pas un élément indispensable, même s'il est facilitateur, pour l'établissement d'une violation du droit communautaire. Dès lors, un Etat membre n'est pas tenu , au regard des principes d'effectivité, de suspendre la prescription en cas de recours en manquement introduit par la Commission. La Cour écrate également l'argument tiré d'une violation du principe d'équivalence, dans la mesure où le droit allemand prévoit l’interruption du délai de prescription lors de l’introduction en parallèle d’une voie de droit nationale conformément à l’article 839 du BGB, au motif qu'un recours en manquement de la Commission n'est pas comparable à une telle voie de droit.
Sur la troisième question, la Cour considère que le droit communautaire ne s’oppose pas à ce que le délai de prescription d’une action en responsabilité de l’État en raison d’une transposition incorrecte d’une directive commence à courir à compter de la date à laquelle les premières conséquences préjudiciables de cette transposition incorrecte se sont produites et les conséquences préjudiciables ultérieures de celle-ci sont prévisibles, même si cette date est antérieure à la transposition correcte de cette directive.
Toujours au titre du principe d'effectivité, la Cour considère en effet que le fait que le délai de prescription prévu par le droit national commence à courir à partir du moment où les premières conséquences préjudiciables se sont produites alors que d’autres conséquences de cet ordre sont prévisibles n’est pas non plus de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit communautaire.
Enfin, sur la dernière question, la Cour répond que le droit communautaire ne s’oppose pas à l’application d’une réglementation nationale qui prévoit qu’un particulier ne peut obtenir la réparation d’un dommage dont il a omis, intentionnellement ou par négligence, de prévenir la survenance en utilisant une voie de droit, à condition que l’utilisation de cette voie de droit puisse être raisonnablement exigée de la personne lésée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, au regard de l’ensemble des circonstances de l’affaire au principal. Et la Cour d'ajouter que la probabilité que le juge national introduise une demande de décision préjudicielle en vertu de l’article 234 CE ou l’existence d’un recours en manquement pendant devant la Cour ne peuvent, en tant que telles, constituer une raison suffisante pour conclure qu’il n’est pas raisonnable d’exercer une voie de droit.