Délits d’Opinion : Dans votre ouvrage, vous décrivez la crise profondeque traverse la classe moyenne. Mais peut-on dire que les classes moyennes soient une catégorie homogène ?
Xavier Charpentier : Il existe effectivement de fortes disparités en termes de niveaux d’études,des clivages parfois violents entre les salariés du secteur public et ceux du privé. Mais cette classe moyenne converge sur trois points cruciaux à ses yeux : le fait de payer des impôts, le sentiment de n’être pas suffisamment payé pour bien vivre, et de trop gagner pour être aidé, et enfin une croyanceprofonde dans la valeur travail. Or aujourd’hui sur chacun de ces points, ils ont l’impression que le système leur est défavorable, ce qui crée un profond sentiment de perte de repères et surtout d’injustice.
Délits d’Opinion : Comment s’exprime ce sentiment d’injustice ?
Xavier Charpentier : Tout d’abord cette catégorie est profondément méfiante et a développé une mentalité d’assiégés. Ils ont la dent dure contre les élites, ayant souvent l’impression que les choses se font à leurs dépens. Ils avaient crû dans la valeur travail,se considèrent comme les bons élèves de la République, mais aujourd’hui les bons élèves découvrent que les derniers de classe, les chômeurs, les rmistes, qui sont jugés assez durement, ne vivent pas forcément plus mal qu’eux. Alors le sentiment de révolte gronde.
Délits d’Opinion : Cette classe moyenne apporte-t-elle son soutien aux manifestations de ces derniers jours ?
Délits d’Opinion : Vous intitulez d’ailleurs un chapitre de votre livre « Les uns contre les autres ». Court-on un risque d’affrontement ?
Xavier Charpentier : Il est inquiétant en effet de constater qu’il n’existe plus du tout de continuum dans la société entre les différentes catégories. Les classes moyennes se sentent instrumentalisées par les catégories au-dessus d’eux et par les élites, et exploitées par les catégories plus populaires.
Délits d’Opinion : Et pourtant, malgré ce portrait très sombre, les Français croient encore que des changements sont possibles…
Xavier Charpentier : Le changement est de toute façon vital à leurs yeux. Les classes moyennes pensent quelesystème a atteint lebout de sa logique. Dans cette perspective, ils ne souhaitent pas forcément plus de solidarité pour sauver le système existant, mais voient au contraire la crise comme l’opportunité d’instaurer des règlesnouvelles qui leur soient moins défavorables.
“Les nerfs solides, Paroles à vif de la France moyenne”, Par Xavier Charpentier et Véronique Langlois, Nouveaux débats publics
Propos receuillis par Matthieu Chaigne