Union européenne . Le Parlement a validé hier la directive libéralisant les services, malgré un grand nombre de zones grises qui risquent de favoriser le dumping social...
« Jeu, set et match pour la directive services. » Ainsi a réagi le groupe socialiste au Parlement européen (PSE) après l’adoption définitive, hier, d’un texte de loi débattu depuis janvier 2004 et sa présentation par le commissaire au Marché intérieur de l’époque, Frits Bolkestein. Un match de près de trois ans donc, pour rester dans la métaphore tennistique, à l’issue duquel chacun voit la victoire de son côté du court. « Victoire », selon la droite au Parlement européen (PE) et le patronat européen (UNICE), mené par Ernest-Antoine Seillière, qui loin de pleurer la version « dure » de Bolkestein, a récemment jugé que le texte certes « moins ambitieux » examiné par le Parlement européen était un « pas en avant prometteur » dans la dérégulation générale des services.
sous la pression de la droite
« Victoire » donc aussi, à en croire le groupe socialiste - à l’exception notable des élus français qui ont soutenu les amendements déposés par les groupes communistes (GUE) et Verts pour faire échouer le texte. L’adoption de la directive repose pourtant sur un compromis où la rapporteuse PSE Evelyne Gebhardt a dû avaler un petit paquet de couleuvres. Après les modifications apportées par le Conseil en mai, Gebhardt avait jugé le résultat en recul par rapport au texte voté en février au PE, et présenté une série d’amendements pour rétablir une dizaine d’articles. Les nouvelles formulations sur l’exclusion de la directive du droit du travail des services d’intérêt général et des services sociaux étaient trop floues pour constituer une réelle protection devant les tribunaux, faisait-elle alors valoir. Le PSE a finalement renoncé sous la pression de la droite. « Il est incompréhensible de voir qu’un texte est considéré comme un succès alors qu’on estimait qu’il présentait une insécurité juridique auparavant », résume Heide Rühle, Verts-ALE. « Nous avons eu des incertitudes sur les formulations du Conseil, a reconnu Evelyne Gebhardt hier, mais avec la communication que la Commission nous a transmise (hier, avant le vote) nous avons fait en sorte qu’il y ait beaucoup plus de clarté. »
Or qu’a dit exactement la Commission ? Elle a assuré que l’impact de la directive sur le droit du travail et les services sociaux est « neutre » mais elle a rappelé dans la foulée que « la loi communautaire et en particulier les traités continuent de s’appliquer ». Or on sait qu’ils affirment tous le besoin d’éliminer les « entraves »à la libre circulation des personnes, ce qui fonde les jurisprudences de la Cour de justice européenne pour « casser » les protections nationales, y compris en matière de droit du travail (voir l’affaire Vaxholm).
Cette ambiguïté s’applique plus généralement à un point central : le droit applicable aux prestataires de services. Le PSE et une partie de la droite estiment que le retrait du « principe du pays d’origine », présent dans la version de Frits Bolkestein et selon lequel une société aurait pu exercer à l’étranger selon les normes du pays où elle est installée, suffit seul à garantir que les prestataires seront soumis au droit du pays où ils exercent - un maçon tchèque soumis au droit français s’il vient travailler en France. Le rappel par la Commission que le droit communautaire - dont une bonne partie de jurisprudence de la Cour de justice, qui échappe au contrôle des députés - prévalait a confirmé hier les craintes de ceux qui, à l’inverse, pensent que, malgré le vote des députés, la jurisprudence européenne fera revenir le PPO par la porte de derrière. Sur ce point les conservateurs anglo-saxons et des pays de l’Est partagent l’analyse de la GUE et des Verts mais, eux, pour s’en féliciter. Le rôle de la Cour de justice européenne s’annonce donc déterminant. « Ce sont des personnes non élues qui tireront les marrons du feu », se désolait hier Toine Manders, pourtant élu libéral (ALDE).
des secteurs protégés
Cette série d’incertitudes n’a pas empêché des élus de présenter la directive comme une victoire par rapport au texte initial de la Commission. « Le projet de directive a été remis à plat, ainsi que le souhaitait Jacques Chirac en mars 2005 », a déclaré Jacques Toubon, du PPE. La directive deviendra une réalité en droit dès le mois prochain. Les pays membres auront alors trois ans pour la transposer dans la législation nationale - trois ans pour mettre en oeuvre un gigantesque chantier de dérégulation qui éliminera la plupart des procédures de contrôles dont disposent les autorités publiques pour contrôler la qualité et la sécurité des services fournis.
Un certain nombre de secteurs ont, il est vrai, été protégés : services financiers, audiovisuel, transports, agences d’intérim, santé… Les premières victimes de ce choc entre des travailleurs issus d’États où les niveaux de rémunération et de protection sociale varient parfois d’un à dix seront donc les professions non qualifiées. « Les médecins et les pharmaciens sont en dehors de la directive, les charpentiers et les coiffeurs dedans », notait Lasse Lehtinen, PSE.
Paul Falzon
Strasbourg (Bas-Rhin),
envoyé spécial.
HUMANITÉ. Lundi 23 mars 09
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