Il y a plusieurs années j’ai ressenti le frisson ultime au cinéma avec "Memories of Murder" qui appartient à la race des longs métrages comme on en voit dix dans une vie de cinéphile. Je m’étais dit que j’aurai du mal à ressentir une telle impression.
C’était sans compter, une nouvelle fois, sur le cinéma de Corée du Sud. "The Chaser" de Na Hong-Ji est sorti la
semaine dernière et je dois confesser que c’est une véritable bombe du cinéma asiatique, un événement d’une incroyable portée culturelle. Le long métrage est une réussite
totale.
Bien dommage que sa distribution soit sacrifiée sur l’autel des merdes commerciales franco-américaines. A chaque fois je me dis que j’appartiens à la catégorie des spectateurs chanceux, et privilégiés, qui a fait un choix courageux et qui sont payés en retour.
Joong-ho (Yun-seok
Kim), autrefois inspecteur de police à Séoul, est devenu proxénète. Depuis quelques temps, un certain nombre de "ses" filles ont disparu. Elles avaient toutes eu rendez vous avec le même
client semble-t-il.
Joong-ho soupçonne tout d’abord une simple traite des blanches à son insu. Mi-Jin (Yeong-hie Seo), prostituée qui souhaite arrêter le métier, disparaît à son tour.
Quand Joong-ho s’aperçoit que ses employés sont victimes de Young-min Jee (Jung-woo Ha) un redoutable tueur en série, l’ex-policier décide de se lancer sur les traces du prédateur. Le compte à rebours implacable est lancé et il n’a que quelques heures devant lui pour retrouver la jeune femme.
"The Chaser" est un long métrage qui prend aux tripes dès les premiers instants. La magie de ce cinéma là est de nous emprisonner et de ne plus nous lâcher. Le spectateur a la tête sous l’eau et le générique de fin résonne comme une véritable délivrance. Et bien souvent comme avec les films venus d’Asie et spécialement de Corée du Sud, n’imaginez pas sortir de la salle rassuré par une bonne petit fin heureuse de derrière les fagots.
"The Chaser" est un thriller très sombre qui nous montre l’espèce humaine sous son jour le plus déplorable. Des êtres dits civilisés sont capables des crimes les plus horribles à grand renfort d’hémoglobine. Le long métrage baigne dans un pessimisme ambiant incroyable.
Le climat est pesant, lourd. La nature et les infrastructures sont hostiles. La nuit est l’ennemi de ce héros atypique. Chaque recoin est un danger potentiel. L'ex-policier courre à en perdre haleine dans un dédale de rues et de ruelles qui prend la forme d’un univers sombre et inquiétant. La maison où le tueur retient au piège sa dernière victime en date reste introuvable dans cet enchevêtrement de maisons.
Cette tension de tous les instants nous submerge presque. Le rythme crescendo du film fait monter ce sentiment de malaise jusqu’à un dénouement implacable. Na Hong-Ji maîtrise son sujet et cela se voit à l’écran. Une fois que le compte à rebours mortel est lancé, un abîme s’ouvre sous nos pas. Sa mise en scène est soignée, stylisée, nette. Aux moments calmes s’opposent des instants où une violence hyperbolique se déchaîne.
Les personnages sont taillés à la serpe. Sous une apparence presque juvénile, le tueur représente le mal absolu. Ses crimes sont rapides, méthodiques, sanglants. Le spectateur est révolté par le système judiciaire coréen amorphe et une police engluée dans ses contradictions internes qui permettent à la bête de s’en sortir une première fois et de faire de nouvelles victimes. La condamnation est sans appel. Ma première pensée a été : "non ce n’est pas possible, ce pourri ne va pas s’en sortir".
A l’opposé le flic devenu maquereau est la seule figure de bonté de cette œuvre pessimiste sur le fond et la forme, la seule parcelle de lumière dans ce monde de crimes et de sang. D’abord attiré par l’appât du gain, lui seul est prêt à renverser des montagnes pour retrouver une simple prostituée.
Autour de ces deux figures emblématiques tournoient les habituels seconds rôles asiatiques, à la fois horripilants et si importants dans une telle histoire. Ça hurle, ça crie dans tous les sens. Les hommes sont prêts à en découdre de manière échevelée. Le tout baigne dans un joyeux bordel mais le plaisir est tellement jouissif. On regretterait presque l’absence de ces icônes incontournables.
C’est pour cela aussi que je vous conseille de le voir en version originale car les sonorités si particulières de la langue du pays du matin calme rythment le film.
La musique si intense doit être considéré comme un personnage à part entière de "The Chaser". Les sonorités participent à l’installation d’une ambiance oppressante.
Les séquences qui mettent aux prises le tueur et ses victimes sont d’une rare
sauvagerie. La nausée nous saisit pleinement. Le calvaire de Mi-Jin s’impose à nos yeux sans détours ni ellipses. La violence est aussi l’arme de cet ex-policier quand une rage intense, une soif
de vengeance prend possession de son être.
Le point de non retour est atteint dans le duel final. L’avant-dernière scène du film nous démontre que le système est pourri car une fois de plus le vice le plus immonde est protégé par une certaine idée de la Justice et de l’Ordre.
A contrario les ultimes secondes tendent d’imposer à notre esprit une maigre consolation, une faible lueur d’espoir dans cette terrible nuit.
Les deux comédiens principaux forment un duo étonnant que tout oppose. Leur jeu est sûr, plein de fougue, d’intensité, de violence et de passion.
"The Chaser" est une perle du cinéma, un bijou d’une qualité phénoménale. Un long métrage qui adresse quelques coups de griffes avec une rare efficacité. La Police et la Justice de Corée du Sud en prennent pour leur grade. Nous replongeons avec délectation dans un univers bien glauque où tous les paramètres sont maîtrisés et chaque élément clairement assumé. Les choix de mise en scène sont précis et draconiens.
Le spectateur ne sort pas indemne.