Malgré une industrialisation et une urbanisation rapides, Taiwan conserve une faune et une flore sauvages immensément riches. Les sommets, les forêts, les estuaires et les marécages de l'île abritent une incroyable variété de plantes et d'insectes. Cette diversité incomparable explique la présence dans l'île de plus de 450 espèces d'oiseaux qui séjournent ici de façon permanente ou non. Après Madagascar, c'est à Taiwan que l'on rencontre le plus grand nombre d'oiseaux au kilomètre carré.
Le Congrès ornithologique international a mis sa base mondiale des oiseaux à jour en février 2008, et l'organisation attribue maintenant à Taiwan 23 espèces aviaires endémiques. BirdLife International a pour sa part identifié ici 53 Zones importantes pour la conservation des oiseaux (IBA) qui couvrent au total 18% du territoire. Les IBA sont de tailles variées, depuis le refuge de l'îlot du Chat, dans l'archipel de Penghu (Pescadores) qui fait 36 ha, jusqu'à Nengdan, un ensemble de 134 000 ha situé dans la chaîne de montagnes centrale.
Peu de Taiwanais savent reconnaître le notodèle à queue blanche, la mésange montagnarde ou la nymphée fuligineuse qui attirent les ornithologues au refuge de la vie sauvage de la Nantzuhsien, dans le district de Kaohsiung, mais ils ont en général tous entendu parler de la petite spatule, un élégant échassier au plumage blanc qui tire son nom de son long bec noir aplati en son extrémité. L'oiseau est aujourd'hui étroitement associé, dans la con science populaire, au site de Chiku, le village côtier du dis trict de Tainan où elle hiverne. L'endroit est maintenant plus célèbre pour ses visiteurs ailés que pour les salinières qui y étaient autrefois la principale activité économique.
En 1992, cet oiseau migrateur a été classé parmi les espèces « en danger » par l'Union internationale pour la conservation de la nature et des ressources naturelles. Dix ans plus tard, le ministère de l'Agriculture a créé un habitat de la vie sauvage à Chiku, avec une zone de 300 ha spécialement réservée aux spatules. Cette décision, et bien d'autres efforts consentis au cours des années, ont permis de les sauver de l'extinction. En 1988, seulement 288 pe tites spatules avaient été aperçues en Asie de l'Est, alors qu'en 2007, elles étaient aux alentours de 1 700.
La pirolle de Taiwan, un oiseau endémique, fréquente le Parc national de Yangmingshan, dans les hauteurs de Taipei.
« Nous avons eu beaucoup de succès à Chiku, dit Mark Wilkie, un enseignant originaire d'Afrique du Sud et un amoureux des oiseaux. C'est en grande partie grâce au soutien de la population locale, qui trouvait également un intérêt à garder la zone dans un état "semi-naturel" pour ses activités de pêche et d'aquaculture. Nous avons eu de la chance, au fond, que la survie économique des riverains ait été menacée par le développement. En l'occurrence, les pêcheurs et les oiseaux ont été de bons partenaires. »
Autre projet qui vise à renverser la tendance, l'établissement d'une zone protégée à Kuantien, dans le district de Tainan, afin d'abriter une autre espèce menacée, le jacana à longue queue. Selon A Guide to Threatened Birds in Taiwan, un ouvrage de Fang Woei-horng paru à Taipei chez Owl Publishing, il y a actuellement entre 25 000 et 100 000 jacanas à longue queue à travers toute l'Asie. Toutefois, à cause du recul de son habitat naturel, à la fin des années 90, on en comptait moins d'une centaine à Taiwan et cela malgré son classement dans les espèces protégées dix ans plus tôt, en 1989.
Sauver le jacana était devenu une question de fierté en 1997 pour le district de Tainan qui a adopté l'oiseau comme mascotte. On s'est beaucoup inquiété pour lui au moment de la construction de la ligne du train à grande vitesse entre Taipei et Kaohsiung, car celle-ci traverse, à Hulupi, un marécage de 2 200 ha où les jacanas ont pris l'habitude de se retrouver. Les écologistes ont vite réagi, et en 1997, un comité pour la défense de ces jolis oiseaux était formé. En utilisant les subventions fournies par le consortium du train à grande vitesse, un refuge d'une superficie de 15 ha a pu être délimité dès 2002. Résultat, le nombre des jacanas observés dans la région a plus que doublé entre 2000 et 2004. Un autre facteur a contribué au succès de ce projet : l'implication de la population locale. Depuis 1998, en effet, les agriculteurs de la région peuvent prétendre à une récompense de 10 000 à 20 000 dollars taiwanais pour tout oisillon de jacana découvert dans leurs champs.
Le recul de leur habitat naturel est assurément la première des menaces pour les oiseaux, mais la chasse reste un problème aussi. Simon Liao, le directeur exécutif de la Société de Taiwan pour une écologie durable, souligne que le risque de disparition est particulièrement grand pour certaines espèces, victimes des braconniers. « Lorsqu'il ne reste plus que quelques spécimens, on n'est pas à l'abri d'une catastrophe naturelle, par exemple, qui fasse disparaître l'espèce. Il est donc important d'éduquer le public sur la raison pour laquelle les mesures de conserva tion sont prises. »
Le faisan de Swinhoe, endémique lui aussi, est assez rare.Mark Wilkie cite l'exemple du busautour à joues grises.
Dans les années 60 et 70, tous les ans au mois d'octobre, ces faucons étaient décimés alors qu'ils migraient vers les Philippines en passant par le district de Pingtung, dans le sud de l'île. Lorsque ce carnage fut signalé en 1979, les écologistes et les amoureux des oiseaux crièrent leur colère et leur inquiétude. « La question a pris une dimension internationale, en englobant le Japon [où les busautours étaient exportés pour leur plumage] , si bien que les pouvoirs publics ont été obligés d'agir, raconte l'ornithologue amateur. Heureusement, le massacre a largement été stoppé. Mais il y a une certaine amertume à Manjhou [dans le district de Pingtung] vis-à-vis de la façon dont l'affaire a été traitée. D'après ce qu'on m'a dit, les habitants pensent que les pouvoirs publics et le Parc na tional de Kenting n'ont pas fait assez pour promouvoir [le tourisme local parle biais de] l'observation des faucons. »
La petite spatule et le busautour à joues grises sont peut -être en sécurité à Taiwan aujourd'hui, mais l'avenir de la brève migratrice est moins certain. Connue en chinois sous le nom d'« oiseau à huit couleurs », cette dernière est présente en plusieurs endroits de l'Asie, dont Taiwan.
L'un de ses sites de nidification favoris est une région de rivières, de gorges et de montagnes du district de Yunlin. Scott Lin, chercheur à l'Institut de recherche sur les espèces endémiques de Taiwan, qui a étudié l'oiseau, le décrit comme « largement distribué [mais avec] des populations réduites et des exigences d'habitat naturel très spécialisées. » En fait, certaines estimations portent sa population mondiale à 2 000 spécimens seulement.
Une journée pour les ornithologues amateurs dans la réserve naturelle de Kuandu, près de Danshui, dans le nord de l'île.
Huben, un hameau dépendant de Linnei, fait sa communi cation touristique autour de l'observation de cet oiseau migrateur qui peut être aisément photographié. L'endroit est aujourd'hui autant associé à la brève migratrice que Chiku à la petite spatule, et un terrain de plus de 2 000 ha y a été déclaré IBA. Malheureusement, une partie significa tive de la zone pourrait se retrouver sous les eaux prochainement : s'il est mis en œuvre, le projet de retenue de Hushan implique l'inondation de 200 ha de forêts. Mark Wilkie, qui s'est rendu avec Scott Lin à une conférence en Corée du Sud en février dernier, afin d'y faire une présentation sur la brève migratrice, explique que ce chantier « frappera au cœur » la zone de nidification de l'oiseau.
Les partisans de la retenue cherchent à atténuer son impact écologique. Une lettre du directeur de la Conservation de l'eau au ministère de l'Economie, reprise le 2 juin 2007 sur le blog des militants écologistes qui combattent le projet, indique qu'entre 2 000 et 3 000 brèves sont observées à Taiwan chaque année, et que seulement 30 à 40 d'entre elles le sont dans la zone qui sera immergée. Mais Scott Lin et Mark Wilkie soulignent que le danger vient aussi de l'extraction du gravier qui sera utilisé sur le chantier, car ces excavations menacent l'habitat naturel d'au moins 105 espèces d'oiseaux, dont la torquéole de Formose, considérée elle aussi en danger d'extinction, et le faisan de Swinhoe.
La fréquence accrue des reportages consacrés à la faune aviaire dans les médias insulaires met en lumière à la fois l'intérêt et l'inquiétude croissante des Taiwanais pour sa survie. Dans les cercles internationaux également, ce n'est plus un secret pour personne que Taiwan est un paradis pour les amateurs d'oiseaux, et de plus en plus d'ornithologues étrangers viennent ici explorer ces richesses.
Steven Crook©Steven Crook, 2008
PHOTOS DE YEH MING-YUAN / GIO