X 2468 - 29. 12. 2008
Norbert von Hellingrath, qui est à l’origine de la renaissance de Hölderlin après 1900, a choisi la philologie à la place de la carrière militaire qui lui était en principe destinée par sa famille (voir la correspondance entre Rainer Maria Rilke et Norbert von Hellingrath, Briefe und Dokumente, éd. par Klaus E. Bohnenkamp, 2008 ; voir l’introduction p. 14, note 26). De même le hobereau prussien Ulrich von Wilamowitz-Moellendorff à l’époque de Nietzche, quelques décennies plus tôt, renonçant à la carrière militaire. L’allure et l’assurance, la hauteur alliée au dévouement, l’abnégation dans la supériorité, sont transférées dans le domaine de la science philologique et des lettres. La Guerre le reconduira, "volontaire", avec le soutien moral du cercle qui entoure le poète Stefan George, sur le droit chemin de la vérité innée et héréditaire. La mort héroïque pro patria le trouve ; et son nom trouve sa place sur les monuments. Hölderlin était avec lui, enfoui dans la boue de Verdun et enterré. Hellingrath avait dû lire le poète dans cet esprit-là. Le livre, avec ses études, sera traduit, en France sous l’occupation, encore (j’ai donné mon exemplaire à André du Bouchet lorsqu’il s’est occupé de Hölderlin).
Rilke souffrait, lui, de l’absurdité de la guerre (il ne l’avait pas fait au tout début), il ne s’en cachait pas, le disant là où il pouvait le faire ; les événements lui paraissaient avoir atteint le comble de l’horreur, il en était remué. Il en restera déprimé et révolté, ne le disant sans doute pas trop. Le jeune Hellingrath, dans l’entourage où il avait grandi et celui qu’il avait choisi, ne pouvait pas avoir cette lucidité ni cet esprit critique. L’aurait-il eu, comment aurait-il fait ? Il était le prisonnier de ses valeurs. Rompre avec ces milieux. ? Il était engagé et enrôlé de tous les côtés. Aussi acquiesçait-il, comme tant d’autres, comme quasi tout le monde, et il devait s’offrir au sacrifice, se vouer à cette absurdité, que d’autres vivaient si mal. Rilke refusait, lui, refusait d’accepter ce monde, tel qu’on le faisait tourner.
Il faudrait relire les textes, sous cette lumière, avec les prises de position relatives à Hölderlin et distinguer pour lui ce à quoi la redécouverte d’un poète du passé pouvait être assimilée ; l’interprète s’accrochait aux valeurs partagées par son milieu. L’autre, le poète, était plus libre ; il comprenait mieux ce que la façon de considérer les mots et de les assembler lui apportait et cela le libérait dans ses approches mêmes de la langue poétique.
©Jean Bollack
Contribution de Tristan Hordé
Sur les X de Jean Bollack, lire ici