N° 19 : Ne Chinoisons pas !

Publié le 24 mars 2009 par Frogetech

228° jour

09h heure locale, SkyPier, Hong Kong airport.


Nous revoilà avec nos deux fameux mécanos, qui avaient gagné un voyage en chine - souvenez-vous, le lot avait été attribué lors d'une échauffourée en Savoie - en train d'embarquer péniblement sur le ferry reliant l'aéroport de Hong Kong à Shenzhen-Shekou. A peine le pied posé sur le pont, le visage du responsable méca prit un doux teint d'endive albinos. Le regard paniqué qu'il jeta vers son acolyte était empli d'une frayeur sans fond :

- Combien de temps la traversée déjà ?

- Boah ! Quarante minutes grand max, une paille quoi !

- Une paille !! Déjà que je ne suis pas trop fan de bateaux, ni de la chine d'ailleurs, si en plus il faut se taper les odeurs d'huile chaude mariées avec les parfums de poisson en décomposition, je repars de suite à Paris !

Heureusement pour eux, en ce début de printemps, une brise clémente adoucissait les effluves perturbateurs, on se demande d'ailleurs comment ils auraient pu survivre à la période des pluies !

Mandatés par la direction pour apporter leur assistance technique à leur fournisseur, ils avaient rendez-vous avec le correspondant local de l'injecteur savoyard, de l'autre coté de la frontière chinoise et un des moyens d'accès consistait à traverser la baie de Hong Kong jusqu'à Shekou, quartier industriel au sud ouest de Shenzhen, mégapole dédiée aux dieux des affaires.

La traversée fut brève et finalement moins agitée que prévue, mais l'attente à la frontière suffisamment longue pour finir de stresser nos deux cobayes. A leur grande surprise, ils furent accueillis sur le parking par un jeune chinois, cravaté et souriant (eh ! les deux ne sont pas incompatibles), là ou ils s'attendaient plutôt à un bon franchouillard expatrié.

Le gars s'approcha la main tendue, obséquieux tout plein, soucieux de plaire.

- Hello, welcome !

- Oh punaise, même lui ne parle pas français ! Euh, ouaile, heu, nice tou mitiou...

Epargnons-nous le délicat verbiage qu'échangèrent nos trois lascars pour, d'une superbe parabole, nous retrouver deux heures plus tard dans la salle de réunion de l'entreprise - glaciale et grandiose comme à l'accoutumée - attablés devant la traditionnelle bouteille de flotte sans goût. La clim poussée à fond faisait claquer des dents nos mécanos, forts marris de n'avoir pu faire de détour par la case hôtel histoire de changer de chemise. Le moral était tout de même remonté d'un cran puisqu'ils étaient en compagnie d'un des patrons chinois maniant le français, certes avec quelques lacunes, mais dans le contexte...

- Je bien content que vous là, on a petits détails à finir avant de faire pièces ! Entama t-il avec un sourire large comme une portion de pastèque.

- Comment ça ? Le responsable méca sentit toute sa fatigue envolée. Les pièces ne sont pas prêtes ? Mais, mais... on avait prévu de passer pas plus de deux jours ici, le temps de voir le résultat et préparer les mises au point, et hop dans l'avion !

Comme le tremblement de sa voix flirtait dangereusement avec le sanglot, son acolyte prit le relais :

- Voyons, quel est votre planning ? Qu'est ce qui reste à faire avant de produire ?

Grand sourire.

- Rien grave, juste pas reçu matière et outillage pas encore revenu de finition !

Le silence consterné qui accueillit ses propos en disait long sur le « peu » de gravité de la situation

- Pas de problème, matière commandée, livraison pour dimanche, peut-être samedi. Outillage bientôt prêt, demain peut-être.

Très grand sourire.

- Heu, on est mardi je crois ? Demanda le mécano. Donc on est bon pour rester là jusqu'à la semaine prochaine... Le problème, c'est que je n'ai pas prévu assez de caleçons pour tenir tout ce temps, ponctua t-il en se tournant vers son chef.

Enorme sourire.

- Pas problème, faire magasins, faire magasins, moi montrer vous ! Mais d'abord aller manger !

Et les voilà repartis sur la route, pour atterrir dans un de ces immenses restaurants, l'entrée décorée de dizaines d'aquariums peuplés de votre repas potentiel, qui vous guigne d'un œil glauque, la tête coincée entre la paroi et ses congénères. Les paupières alourdis par quelques TsinTao et le décalage horaire, nos deux mécanos furent ensuite promptement trainés dans un de ces buildings qui proposent des commerces sur dix étages, où l'européen moyen ne peut faire quatre pas sans être happé par une vendeuse hystérique qui tient absolument à lui refiler une soit disant authentique Rolex pour un prix dérisoire. Et c'est à la nuit tombée (bon, c'est vrai qu'elle arrive tôt dans ces contrées) qu'on les retrouve, titubants devant leur hôtel, bardés de sacs bourrés de chemises à trente RMB, avec un seul objectif : pouvoir enfin se coucher !

Sourire démesuré.

- Demain matin, rendez-vous dix heures. OK ?

Et sans leur laisser le temps de répondre, la voiture part se noyer dans le flot incessant.

A suivre...