Ceux qui pensent encore que les amateurs de vin ne sont pas assez virils pour apprécier la bière n'ont jamais rencontré Stu Morgan. Cet homme à la carrure d'athlète a été pendant presque trente ans pilote de chasse dans l'armée canadienne. Quand il a pris une retraite anticipée, en 1997, il a rassemblé ses économies et les a investies dans la Lakeview Cellars Estate Winery, une exploitation vinicole située près de Vineland (en Ontario) et appartenant à deux de ses amis. Aujourd'hui, les trois associés et leurs épouses travaillent presque sept jours sur sept, sur leurs sept ou huit hectares de vignoble. "J'aime le vin et j'aime le Canada, déclare Stu Morgan. Et nous voulons montrer que le vin canadien peut être un grand vin."
Il y a dix ans, le vin canadien était tourné en ridicule par les puristes. Devant une commission parlementaire sur le libre-échange en 1987, l'écrivain Mordecai Richler avait fait cette célèbre déclaration à propos du vin d'Ontario : "Ma capacité à boire de la piquette pour mon pays a ses limites." A cette époque, le raisin posait un problème majeur : les variétés locales étaient robustes, mais leur saveur était plus adaptée à la production de vins doux, de sucreries ou de boissons non alcoolisées. Pendant des années, le vin d'Ontario le plus vendu a été un breuvage rose et mousseux du nom de Baby Duck. La société Andres Wines en vendait plus de 10 millions de bouteilles par an à la fin des années 70. Depuis, les viticulteurs ont arraché leurs vignes et les ont remplacées par de la Vitis vinifera, l'espèce qui est à la base de tous les vins classiques.
Au cours des dernières années, les vignobles de Colombie-Britannique et d'Ontario - les deux Provinces canadiennes disposant d'une industrie vinicole importante ont gagné des centaines de récompenses internationales. "Lors de dégustations en aveugle, les meilleurs vins canadiens de certaines catégories sont à la hauteur de ceux d'autres pays", affirme Tony Aspler, rédacteur en chef du magazine Winetidings. Pour le moment, l'Ontario reste dominant : avec 10 000 hectares de plantations, il dispose d'un vignoble à peu près sept fois plus vaste que celui de la Colombie-Britannique et produit 90 % du vin canadien. Malgré leur taille plus modeste, les exploitations de Colombie-Britannique sont toutefois florissantes : elles ont gagné 440 médailles lors de compétitions internationales pour la seule année 1998. En juin 1999, le magazine Wine Spectator, de New York, a présenté des critiques très enthousiastes concernant 13 vins de Colombie-Britannique et 9 vins d'Ontario.
Les grands vainqueurs de ces compétitions internationales sont les "vins de glace", ces vins très sucrés qui sont devenus la grande spécialité canadienne. Mais Tony Aspler et d'autres critiques apprécient aussi les rieslings et les vins blancs en général. "Le temps où nous devions demander pardon pour la qualité de notre vin est bien révolu", se réjouit Allan Schmidt, directeur général de la Vineland Estate Winery. Certains des prix qu'il pratique reflètent d'ailleurs cette revendication de qualité : la bouteille de Meritage cabernet merlot 1997, par exemple, se négocie actuellement à 125 dollars canadiens [607 FF]. Il est à noter que ces coûteuses bouteilles ne sont vendues que sur place, au domaine, et qu'elles sont rationnées : pas plus de 2 bouteilles par client !
Source: Courrier International