Tokyo sonata ou l'art de la simplicité

Publié le 24 mars 2009 par Rob Gordon

Après Walter Salles et sa Famille brésilienne, c'est au tour de Kiyoshi Kurosawa de dresser le portrait de ce qu'il estime être une famille ordinaire de son pays d'origine. Il s'agit de la première incursion dans le drame pour ce cinéaste spécialisé dans le fantastique languide, et il faut reconnaître que celui-ci s'en tire mieux que bien. Tokyo sonata est une chronique d'un réalisme étouffant qui semble dire quelque chose de vrai sur le Japon et son mode de vie. Il y a ce père de famille qui joue provisoirement les Jean-Claude Romand (sauf que le provisoire dure et dure encore). Les fils qui échappent peu à peu au cocon familial, l'un se tournant vers une carrière militaire loin de Tokyo, l'autre s'évadant par la grâce de cours de piano pris à l'insu de ses parents. Et la mère, mutique mais pas dupe, qui observe son petit monde se déliter sans crier gare. On se trouve dans sa position, attristé par le pathétique des situations, mais incapable d'y remédier.

Filmant avec simplicité (le style épuré rappelle celui de Kitano), Kurosawa n'en rajoute ni dans le pathos ni dans le misérabilisme, s'autorisant même un peu d'humour notamment dans ses descriptions du désœuvrement paternel. Le chef de famille est sans aucun doute le personnage le plus fascinant de l'ensemble, vivant dans le mensonge tout en prônant dans son foyer la rigueur et l'honnêteté intellectuelle. Ses mémorables colères ne feront d'ailleurs qu'aggraver les choses. Elles donnent lieu à quelques-unes des scènes les plus fortes du film, tant par leur violence psychologique que par ce qu'elles révèlent de la médiocrité de l'esprit humain, capable d'énoncer de grands principes tout en se comportant de la pire des façons.

Comme la plupart des films de Kurosawa (en tous cas ceux sortis en France, puisque une douzaine reste inédite), Tokyo sonata fonctionne dans la durée, prend son temps, n'hésite pas à répéter plusieurs fois le même évènement, à y revenir si besoin. Et, comme on ne se refait pas, finit par tomber dans un surréalisme déconcertant car flirtant volontairement avec le grotesque. Une rupture de ton qui lui donne à la fois un nouveau souffle et un nouveau profil, en faisant beaucoup plus que l'oeuvre classique et un peu monotone à laquelle on pouvait avoir l'impression d'assister. Extrêmement prolifique, Kurosawa a visiblement beaucoup de choses à raconter sur la façon, aussi juste mais singulière, dont il voit son cher pays.

8/10
(également publié sur Écran Large)