Voilà maintenant deux semaines, ami lecteur, que nous sommes vous et moi devant la vitrine 9 de la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre
pour découvrir deux bas-reliefs de la XXVIème dynastie saïte, le premier ayant un rapport avec la viticulture, le
second avec la fabrication des parfums.
Grâce à quelques références archéologiques dont certaines sont accessibles aux touristes, je voudrais aujourd’hui plus précisément évoquer pour vous le contexte social de cette dernière activité, tant elle fut extrêmement prépondérante dans la conception du quotidien des Egyptiens de l’Antiquité. Et réserverai à un troisième article, mardi prochain, le soin d’examiner le contexte plus spécifiquement religieux.
Si les matières premières, essentiellement végétales, utilisées pour la constitution des onguents et des parfums provenaient des terres
étrangères, asiatiques le plus souvent - (les textes, mais aussi des scènes à l’intérieur de temples font en effet allusion à des expéditions, sorte de quête aux aromates, organisées vers ces
contrées lointaines dans le but d’en rapporter de précieux végétaux - que ce soit à l’époque de la reine Hatchepsout, avec la célèbre expédition au Pays de Pount, cette région quasiment
mythique située au niveau de l’Erythrée et de la Somalie actuelles d’où l’on ramena, entre autres oliban et térébinthe, ou à celle de Ramsès III) - il n’en demeure pas moins que tout le
travail de préparation des parfums et des onguents, depuis la cueillette des fleurs jusqu’à la présentation au dieu de l’huile odoriférante avec laquelle un prêtre attaché au temple oignait
chaque jour sa statue, s’effectua indubitablement en Egypte même.
Toutefois, comme j’ai eu l’occasion de vous le faire remarquer d’emblée mardi dernier, et malgré la rareté relative d’une documentation
idoine, certaines tombes proposent des scènes de l’une ou l’autre étape de la chaîne des opérations qui conduisaient à la fabrication de tous ces produits aromatiques.
Ainsi, à l’Ancien Empire, à Saqqarah, dans la tombe du vizir Kagemni (VIème dynastie), assistons-nous à la préparation d’un parfum.
Le dessin au trait ci-dessus, copie de la scène figurant sur un des murs de la sépulture, nous donne à voir deux hommes assis mélangeant
dans une vase cylindrique les composants du futur parfum. Les deux petites colonnes de hiéroglyphes qui les surmontent légendent la scène : celle de gauche explique que "aromates et huiles
sont en train de s’associer", tandis que celle de droite rapporte les paroles de l'artisan : "C’est assurément ton parfum qui va rendre le mélange
agréable".
Dans la dernière salle du même mastaba, nous assistons à la procession, du mur ouest vers le mur nord, sur deux registres, d’hommes halant des traîneaux sur lesquels sont arrimés d’énormes vases
à huile.
Des scènes identiquent se retrouvent également dans d'autres tombeaux de Saqqarah, notamment ceux de Ti, et de Mererouka :
http://www.osirisnet.net/mastabas/mererouka/mereruka_05.htm .
Les connaisseurs parmi vous auront peut-être remarqué qu’une des étapes qui, de la cueillette des fleurs jusqu’à l’offrande à Païrkep, le propriétaire de la tombe d’où
fut retiré le linteau de calcaire de la vitrine 9, constituent le travail d’élaboration des parfums est totalement absente : celle de la cuisson des substances aromatiques. Et pourtant, elle
était essentielle !
Fort heureusement pour nous, on la trouve notamment représentée dans l’un ou l’autre tombe de la XVIIIème dynastie, à Thèbes,
comme celle d’Amenmès (T T 89)
et aussi dans une de la XXXème dynastie, à Tounah el-Gebel, en Moyenne-Egypte : celle d’un des cinq grands prêtres de Thot, à Hermopolis,
Petosiris.
Sur le mur nord du pronaos, parmi d’autres étapes de la préparation des parfums, nous découvrons deux artisans s'affairant autour d'un fourneau : celui qui est
accroupi attise le feu pendant que l’autre, debout, mélange les essences en pleine cuisson dans une cuve déposée à même le four.
Un peu plus loin, sur la même paroi, différentes étapes de la préparation de substances parfumées nous sont proposées sur deux niveaux : au
registre supérieur, un ouvrier déverse à même le sol des baies rouges que deux autres vont probablement décortiquer, tandis qu’au registre inférieur, se déroule l’opération qui consiste à broyer
l’un ou l’autre produit. A gauche, les quelques hiéroglyphes nous apprennent que les deux hommes assis autour de la petite table basse pilent des aromates reçues du Pays de Pount, alors qu’à
droite, deux autres, avec un pilon en bois qu’ils tiennent des deux mains, écrasent, chacun dans un mortier, plantes et herbes aromatiques destinées à l’élaboration du parfum. La légende
hiéroglyphique précise cette fois que ce sont des "parfumeurs en train de façonner (pressurer) l’oliban".
Encens pur, l'oliban était en fait une résine provenant d'incisions pratiquées dans l'écorce du "Boswellia Carterii", un arbre qui
pousse en Erythrée, en Somalie et dans le sud de l'Arabie actuelle.
Les plus perspicaces d’entre vous auront sûrement été attentifs à une différence notoire entre toutes ces représentations et celle de notre linteau de porte dans cette vitrine 9. En effet, si aux époques antérieures, sur les parois des mastabas de Saqqarah et des hypogées thébains, les travaux étaient réalisés par des hommes, il semblerait qu’à Basse Epoque, tout ce qui concerne la préparation des parfums, de la cueillette à la mise en jarres, soit aussi dévolu aux jeunes femmes.
Indépendamment de la destination funéraire dans un contexte de renaissance, de régénération auquel je viens de faire allusion, mais aussi de l’incontournable visée cultuelle des onguents et des parfums voulue par les officiants dans les lieux saints de l’Egypte des temps anciens à laquelle je m’attacherai plus particulièrement mardi prochain, je ne puis négliger de mentionner aujourd’hui un autre aspect de l’utilisation de ces produits aromatiques : les soins du corps, qu’ils soient esthétiques ou prophylactiques ...
Les premiers faisaient en effet l’objet d’une attention particulière dans toute la société civile : que l’on soit un homme ou une
femme, se parfumer, employer des cosmétiques pour se maquiller l’oeil par exemple, pouvaient tout aussi bien constituer un geste esthétique lors de fêtes et de banquets qu’une volonté de se
protéger, dans un pays où l’ardeur du soleil n’est plus à démontrer, contre ses rayons ou les odeurs corporelles désagréables.
Ainsi cette recette consignée dans le Papyrus Hearst pour "chasser l’odeur de la substance-khenech qui se trouve dans la superficie du
corps de l’homme, pendant l’été" préconise-t-elle d’enduire le corps avec une préparation réalisée à base, notamment, de résine de térébinthe et d’oliban.
Un autre aspect n'est pas non plus à écarter : dans l’Egypte ancienne - comme d’ailleurs dans bien d’autres civilisations, y compris la
nôtre -, parfums et onguents parfumés connotent une notion très précise : ils sont en effet instruments de séduction et invitent à l’amour. Or, comme tout se tient, - et j’ai déjà par ailleurs,
dans le cadre de la rubrique "Décodage de l’image égyptienne" à propos de l’article concernant les scènes de chasse et de pêche dans les marais du 12 août 2008, eu l’opportunité d’y insister, l’activité sexuelle constitue toujours, dans la symbolique égyptienne, promesse de
renaissance.
Enfin, et ceci est moins gai, ils entraient également souvent dans des prescriptions médicales : le même Papyrus Hearst mentionne une
recette pour soigner la calvitie qui consistait à broyer des fleurs de lotus que l’on faisait ensuite bouillir dans de l’huile. Et un autre, conservé à Berlin, propose un remède (déjà !) pour "chasser une tumeur suintante qui se trouve sur un sein ou
sur n’importe quel autre endroit du corps", en broyant finement et en mélangeant du jus de datte fermenté avec de la poudre de blé amidonnier blanc.
Sans oublier, et ce serait un comble, l'utilisation sur grande échelle qui en était faite au niveau du rite de la
momification. Ainsi, l'étude notamment de la momie de Ramsès II qui fut réalisée au Museum d'Histoire naturelle, à Paris, en 1985, nous apprit-elle que le corps avait été lavé avec du vin de
palme mêlé d'épices, assoupli à l'aide d'onguents, pommadé, bourré d'aromates, évidemment entouré de bandelettes et enduit de résines parfumées.
Malgré les quelques exemples de tombeaux que je viens d’évoquer, certains d’entre eux n’étant d’ailleurs pas toujours ouverts aux touristes,
ce sera plus que très probablement dans les temples, ami lecteur, que vous aurez l’opportunité de rencontrer des scènes d’élaboration de parfums.
Raison pour laquelle je vous convie à me rejoindre le 31 mars prochain, juste avant le congé de Printemps, afin qu’ensemble nous en visitions l’un ou l’autre.
(Bardinet : 1995, 251 sqq.; Baum : 2003, 71-82; Cherpion : 1994, 79-107; Daumas : 1975, 107; Lefebvre : 1924, planches X et XI;
Le Saout : 1987, 325-38; Shimy : 1998, 201-37)
Un merci tout particulier aujourd'hui à Thierry
Benderriter, concepteur de l'excellent site OsirisNet pour l'amabilité avec laquelle il m'a autorisé à lui emprunter quelques clichés, notamment du mastaba de Kagemni
:
http://www.osirisnet.net/mastabas/kagemni/kagemni_01.htm ;
ainsi qu'à Estelle Pieuchot et François User, respectivement membre et
administrateur du forum égyptologique de ddchampo, qui tous deux m'ont fourni documents photographique ou scannés, et inestimables références pour illustrer et judicieusement compléter cet
article, ainsi que celui de mardi prochain :
http://1525.aceboard.net/