Le pari était audacieux. Il est réussi. François Belley, un fils de pub, signe avec “Ségolène®, la femme marque” un essai dont l’objet est de démontrer que Ségolène Royal, pour s’imposer dans le paysage politique, s’est appuyée sur des techniques publicitaires. François Belley décrypte avec brio l’avènement politique de Ségolène Royal. Truffé de références, l’ouvrage reprend le parcours de l’ex candidate aux présidentielles pour mieux démonter les rouages qui ont fait et qui continuent à faire son succès.
Au départ un postulat simple. Cerné et addict aux marques dans sa vie quotidienne de consommateur, le citoyen peut-il échapper au phénomène dans sa fonction d’électeur ? Comme le rappelle l’auteur, outre le fait de marquer une propriété, attestée par le ® de registered (enregistré), une marque déposée vise à incarner et développer une spécificité destinée à se “démarquer” de la concurrence.
Dotée d’un fort pouvoir d’association mentale, la marque est perçue par le consommateur comme une garantie de sécurité et de confiance. Les éléments constitutifs sont simples. Une spécificité, une notoriété et un territoire de légitimité.
François Belley rappelle que, contrairement aux apparences, Ségolène Royal n’est pas une nouvelle venue en politique. Sa notoriété, condition sine qua non de la création d’une marque, elle se l’est constituée à la force du poignet. Patiemment, méthodiquement. Quelle métamorphose par rapport à cette jeune énarque, rentrée dans le sérail comme chargée de mission auprès de François Mitterrand grâce à l’insistance de son compagnon, François Hollande, auprès de Jacques Attali. En dépit de ses grosses lunettes et de ses jupes “tue l’amour” elle réussit à attirer l’attention du président et à gagner ses faveurs. Pour la notoriété il faudra cependant attendre les premiers postes ministériels même de seconde zone. La fenêtre de tir est là, elle ne la ratera pas. Elle développe une stratégie qui vise à se démarquer et à faire valoir sa spécificité. La méthode est simple et efficace, jamais abandonnée depuis. Faire l’événement, le buzz par des effets d’annonce répétés. Il faut se distinguer coûte que coûte d’une offre politique homogène en occupant un segment, une niche politique bien particulière. Ce sera la famille et la protection de la jeunesse.
Dans le même temps, Ségolène Royal prend le soin d’établir des relations privilégiées avec les médias. Des relations donnant-donnant ou gagnant-gagnant. C’est un bon sujet. A l’instar de Nicolas Sarkozy, elle fait vendre. C’est là où le virage politique intervient. La politique ne précède plus la presse. Désormais, elle la suit. Le bon message au bon moment doit correspondre à ce qu’attendent les journalistes.
Parce que le premier message envoyé au client est le nom, le patronyme jugé trop agressif et martial est abandonné au profit du prénom plus doux de Ségolène. L’intéressée demeure à ce jour en France le seul personnage politique de premier plan désigné par son prénom, témoignage d’une recherche de proximité et de complicité.
De la complicité à l’affectivité, le pas est vite franchi. La dimension émotionnelle passe au premier plan grâce à une orchestration et une théâtralisation soigneuse de la vie privée. Les français s’approprient, tel dans un soap opéra, les rebondissements de la vie affective de leur héroïne et s’y projettent.
Comme Nicolas Sarkozy, S. Royal maîtrise la technique du storytelling. Selon François Belley, le conte de fée débute le 2 juillet 1992 quand la ministre transforme avec maestria en opération de communication la naissance de Flora son quatrième enfant. Autre exemple avec cette surprenante dépêche qui lors du soir du deuxième tour des législatives de 2007 annonce la séparation avec François Hollande.
Spécificité principale de Mme Royal : sa féminité assumée et revendiquée. Cette dernière s’inscrit dans une période de l’histoire contemporaine où partout sur la planète des femmes accèdent aux plus hautes responsabilités. Cette féminité alliée à une notion d’écoute et de proximité va constituer la marque “Ségolène Royal”. Très vite elle incarne l’anti-establishment, la seule qui soit capable d’écouter les anonymes pour en devenir la voix.
De l’opportunisme, du populisme et, un levier moins habituel à travers une recherche permanente de séduction. Séduire plutôt que convaincre. Rien n’est laissé au hasard. Un code vestimentaire est mis en place, la chirurgie esthétique redonne douceur et jeunesse au visage. Devenue tendance, la marque Royal doit s’ancrer dans la durée d’autant que les élections présidentielles se sont soldées par un échec. “Quand un produit ne séduit plus par la nouveauté, celui-ci peut renouveler son discours par la qualité, fidélisant ainsi de nouveau le consommateur” écrit François Belley.
Devenue mature, la marque Royal évolue, tente de se bonifier, de gagner en épaisseur dans les propos. Mais surtout, Ségolène Royal n’est plus dans la mêlée mais déjà au-dessus. Les intonations évangéliques en attestent. Si la marque Ségolène a connu une érosion de ses parts de marché à l’issue des présidentielles de 2007, elle se prépare activement à être la marque leader en 2012.
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