Dans une décision du 23 février 2009, le Conseil d’Etat a estimé que le pouvoir réglementaire a pu valablement limiter à 3 le nombre de candidatures au recrutement complémentaire de magistrat administratif. Une telle limitation n’est ni abusive ni contraire au principe d’égalité.
Rappelons que suite à l’adoption de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice, le décret n° 2002-1472 du 20 décembre 2002 avait posé, à l’article R.233-9 du code de la justice administrative, cette limitation.
Un syndicat de magistrats administratifs avait d’ailleurs alors eu la curieuse idée de contester - en vain - devant le Conseil d’Etat l’abaissement de la limite d’âge de 28 à 25 ans inscrite à la même disposition du CJA par le même décret (CE, 5 novembre 2003, Syndicat de la juridiction administrative, n°253515, aux tables).
Cette fois-ci c’est un candidat malheureux au concours complémentaire - l’un des adeptes du fil des commentaires du blog droit administratif - qui s’était présenté trois fois au recrutement complémentaire et avait échoué par deux fois aux épreuves orales d’admission (Légifrance dévoile même son nom dans les visas de la décision - nouvelle preuve que l’anonymisation des décisions sur le “service public de la diffusion du droit” est faite en dépit du bon sens).
L’intéressé avait demandé l’abrogation des dispositions de l’article R. 233-9 du CJA limitant à trois le nombre de présentation au concours complémentaire. Il a ensuite déféré au Conseil d’Etat le refus implicite du Premier ministre.
ou la règle de 3
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Sur la légalité externe, le Conseil d’Etat estime que cette limitation ne porte atteinte ni aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice d’une liberté publique, ni à celles accordées aux agents publics, au sens de l’article 34 de la Constitution, comme il l’avait déjà jugé dans sa décision “Syndicat de la juridiction administrative” de 2003.
Il s’agit en effet, et assez classiquement (v. Cons. contit., n°63-23L et 12 mars 1991, n°91-165L), d’une simple modalité d’organisation du recrutement dans ce corps, dont la fixation relève de la compétence du pouvoir réglementaire et non du législateur. C’est la dérogation au principe du recrutement par concours qui relève du domaine de compétence du législateur, puisqu’il s’agit d’une garantie fondamentale accordé aux citoyens dans l’exerice des libertés publiques (CE 10 janvier 1964, Dame Le Gall).
Sur la légalité interne, question de l’atteinte au principe d’égal accès aux emplois publics, garanti de longue date sous la forme d’un principe général de droit inspiré de l’article 6 de la DDHC par le Conseil d’Etat (CE, Ass., 28 mai 1954, Barel ; CE Ass. 21 déc 1990, Amicale des anciens élèves de l’ENS St Cloud ; Cons. constit. 12 sept. 1984, n°84-179DC limite d’âge dans la fonction publique) était plus délicate.
En l’espèce, le Conseil d’Etat relève que cette limitation se justifie “notamment, par la volonté de garantir la qualité du recrutement” dans le corps de magistrats administratifs - motif qui nous apparaît recevable - et “de limiter le coût pour la collectivité de l’organisation de ce concours“- motif qui nous paraît plus douteux pour justifier une atteinte au principe d’égalité et ce d’autant plus que ces dernières années le nombre de candidats au concours complémentaire est en baisse (à tel point que cette année le Conseil d’Etat a fait des efforts particuliers de communication afin d’attirer les candidatures cf. notre billet).
Dès lors, pour le Conseil d’Etat le principe d’égalité - ou son corollaire, l’égal accès aux emplois publics, - n’est pas atteint car le critère de limitation retenu par le pouvoir réglementaire est “objectif et identique pour tous les candidats” et que, conformément aux critères de la jurisprudence Denoyez et Chorques, “la différence de traitement entre les candidats s’étant présentés trois fois et les autres candidats est en rapport avec la différence de leur situation et se trouve justifiée par des motifs d’intérêt général”.
Enfin, le Conseil d’Etat écarte du revers de la main, en les déclarant inopérant, les autres moyens du requérant en estimant que cette limitation ne constitue “ni une mesure de police“, “ni une peine applicable aux crimes et délits”. La mesure réglementaire n’est donc pas illégale du fait qu’elle instaure “une interdiction générale et absolue“, sans dérogation possible (CE, 1933 Benjamin) ou “ne serait pas strictement et évidemment nécessaire en méconnaissant les dispositions de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen” (CE 12 février 1960, Société Eky).
On peut comprendre la déception des candidat échouants par trois fois à ce concours. Mais, autant les limites d’âge pour accéder à la fonction publique paraissent injustifiées et discriminatoires dans bien des cas, autant il ne nous apparaît pas choquant, ni contraire au principe d’égalité, de limiter à trois tentatives le nombre de fois qu’un candidat peut tenter un concours tel que le recrutement complémentaire de conseiller de TA-CAA. Il faut bien à un moment donné siffler - dans l’intérêt même du candidat malheureux - l’arrêt de la partie. Avec 3 tentatives, un candidat a tout le loisir de se préparer et de démontrer ses capacités, vertus et talents. S’il ne parvient pas à trois reprises à convaincre le jury, c’est qu’il n’a pas les qualités requises pour réussir cette épreuve.
Après on peut toujours se convaincre qu’on est capable de mieux faire ou qu’on a manqué de chance, etc. Mais la participation à un concours est nécessairement conditionnée à certains aléas et la capacité de les surmonter fait partie des compétences évaluées par le jury.
Et, fort heureusement, il existe en droit d’autres débouchés pour les juristes de droit public que le métier de magistrat administratif…
Au demeurant, on trouve une telle limitation du nombre de candidatures dans d’autres épreuves - par exemple l’examen d’accès à la profession d’avocats (alors même qu’il ne s’agit pas d’un concours mais d’un examen d’aptitude).
Enfin notons que le concours complémentaire sera prochainement réformé pour être pérennisé et recevra l’appellation de “concours direct” au recrutement des magistrats de tribunaux administratifs et cours administratives d’appel (voir notre billet ).
CE, 23 févr. 2009, n° 315891, De P.