Je ne remets jamais généralement au goût du jour une note qui a été publiée. Celle qui suit l'a été en mai dernier, et maintenant l'ouvrage dont il est question est sorti en France, et souffre d'une indifférence médiatique (à de rares exceptions près) tout à fait injuste, car on est en présence, à mon avis, à défaut d'un très grand livre, d'un très très bon roman (distinction, qui, vous en conviendrez, peut paraître quelque peu artificielle).
Comment l’humanité réagirait-elle si elle devait faire face, aujourd’hui, à la possibilité de sa propre extinction, incarnée dans l’attaque soudaine et imprévisible d’une armée de zombies ?
C’est à cette question bien alambiquée (compliments de son rédacteur, soit votre serviteur) et présentant un corps étranger (en provenance directe des biens nommées séries Z) que Max Brooks, déjà auteur il y a quelques années de The Zombie Survival Guide, tente d’apporter une réponse…rationnelle.
Organisé sous la forme d’une compilation de témoignages recueillis lors des derniers soubresauts du conflit, le récit propose une reconstitution pluri-subjective du conflit (chaque interlocuteur apportant sa version de l’interprétation des faits) qui toucha toutes les parties du monde sans distinction aucune et qui fut le plus dévastateur que l’humanité ait jamais eu à affronter. Infection, propagation, déni de l’évidence, armées de zombies, armées et gouvernements incapables de répondre à la crise…
La terrible force de World War Z est paradoxalement de ne laisser aucune place à l’humour ou alors très peu, comme une soupape de sécurité. Aux images de violence auxquelles les afficionados des films de George Romero sont habitués, Max Brooks privilégie (sans toutefois s’écarter complètement des scènes d’une violence graphique rare et saisissante, qui sait s’imposer aux moments opportuns et ne sert jamais de ressort narratif souvent utilisé en cas de panne d’idée, ou de point central, en cas d’absence totale d’idées) la description et le commentaire de notre réalité contemporaine, trait incisif, et sa Chute sous sa propre impulsion, tendance historique lourde, faisant des zombies non pas une cause mais véritablement un symptôme.
Tout l’art de l’écrivain se situe pour une part dans la suggestion, l’autre au contraire dans la précision. La première concerne avant le tout le cadre temporel et les acteurs de cette guerre d’un genre inédit. Brooks se garde bien de donner quelque date que ce soit, laissant le lecteur deviner une réalité historique qui ne peut être que la notre. Au travers de plusieurs témoignages peut-on ainsi retrouver quelques figures politiques contemporaines que là aussi l’auteur s’interdit de nommer, faisant marcher l’imagination à plein. Une scène particulièrement glaçante (même si son propos peut paraître naïf) fait se donner l’accolade à un général afrikaner qui fut un des grands défenseurs de l’aparteheid avec un homme dont les traits ne peuvent correspondre qu’à ceux de Mandela. C’est dans le flou qui est laissé que la stupéfaction (au sens premier du terme) naît et ancre de manière beaucoup plus efficace son récit dans notre réalité contemporaine. L’autre versant est celui de la précision de la description du monde contemporain, le notre. L’abondance de détails techniques, de données géographiques et militaires contribue à un effet d’angoisse là aussi assez surprenant. C’est bien la conjugaison des deux qui fait du roman une grande réussite.
Brooks décrit une humanité micro-polarisée sur ses intérêts particuliers, éparpillée (bien qu’elle n’ait jamais formé un tout cohérent), en voie d’auto-destruction.
Au-delà du cliché horrifique forcément métaphorique, le zombie, incarnation de la part sombre de l’homme, ou plutôt dans le roman qui nous intéresse, le zombie comme incarnation de la propre impossibilité de l’homme à croire et réaliser sa propre violence, encore moins à la comprendre, comme en témoignent dans le récit nombre mutineries, rebellions internes qui voient l’humanité s’entre-tuer avant de faire face à son véritable ennemi, c'est-à-dire avant, enfin, de faire face aux conséquences et à la réalité de sa violence, le zombie donc se trouve être un procédé narratif efficace, et qui paradoxalement semble beaucoup plus réaliste que nombre de récits catastrophes dont notre société en mal de sensations fortes raffole.
C’est aussi tout le spectre de notre histoire contemporaine qui est vu sous le prisme de cette guerre, non pas dans une perspective téléologique, c'est-à-dire l’offensive zombie comme conséquence inévitable de l’Histoire, mais bien comme une nouvelle lumière, créant un effet de décalage qui permet de la saisir avec d’autant plus d’importance.
L’auteur nous dépeint donc une humanité aux prises avec sa violence et celle de son histoire, humanité qui illustre magistralement sa capacité à se survivre finalement à elle-même, à endurer ses souffrances pour renaître de ses cendres, le goût de son propre sang dans la bouche…
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