Il devait avoir deux ans et demi, trois ans et portait un anorak rouge.
Excédé, son père lui lançait : "Elle va revenir, Maman. Viens là maintenant, ça suffit !"
J'ai trouvé le regard du père curieusement glacial ou plutôt, bouillant de rage, mais parfois, ai-je pensé, les enfant peuvent être si fatigants !
Nous avons rapidement détourné les yeux de la bouille enchifrenée ; Kéké me parlait et Marie-Georges nous appelait, assise au soleil un peu plus loin.
Toutes deux avions à peine commencé nos petites foulées que j'ai reconnu l'enfant dans son anorak rouge, en pleine crise de nerfs au bord du lac. Il se jetait en arrière, menaçant à chaque instant, de rouler jusqu'à l'eau. Il hurlait arrête, arrête ! au moindre geste, au moindre mot. Des femmes s'étaient attroupées à distance, perplexes, et nous les avons rejointes.
L'une d'elle, scandalisée, racontait : "En fait, sa mère court. Elle a un manteau vert. Elle le tirait par la main pour qu'il court avec elle mais il n'en pouvait plus, il était fatigué. Alors elle l'a laissé là. Tout à l'heure elle est passée et il a supplié "porte-moi, porte moi !". Elle a continué de courir sans s'arrêter. Elle va sans doute bientôt repasser par là, elle a un manteau vert.
- Mais, et le père ? ai-je demandé. Tout à l'heure il était avec son père..." J'ai scruté les environs sans apercevoir la haute silhouette au front courroucé. Le petit garçon était seul, dans un parc bondé, à un mètre d'un lac...
Enfin, une jeune femme a osé s'approcher de lui. Ignorant ses cris de protestation, elle a essuyé ses larmes du bout des doigts. Nous sommes reparties alors qu'il retrouvait son souffle et se laissait apaiser par les paroles compatissantes qu'elle lui murmurait.
Nous avons croisé toute la famille bien plus tard. La mère dans son manteau vert, le père, regardant au loin et l'enfant calmé. Aucun d'entre eux ne souriait. Ils s'apprêtaient à quitter le parc pour poursuivre leur dimanche...