Les Français Musulmans Rapatriés ( une indicible histoire )…
Au silence collectif des français musulmans rapatriés, dont nous avons souligné quelques causes à travers l'échec de leur mouvements associatif, s'ajoute celui profond, plus difficile à mettre à jour, de chaque français musulman rapatrié à lutter contre une réécriture de l'histoire qui leur assigne une place de traîtres ou de fidèles patriotes français.
Pour la plupart des supplétifs, on a montré, que les engagements dans l'armée française ont été provoqués par les injustices du FLN, les jalousies entre familles ou les pressions de l'armée Française. Qu'il s'agisse d'être devenu harki par estime pour un officier français ou pour se protéger des règlements de comptes, l'engagement est un acte individuel, lié à certaines personnes. C'est un acte domestique privé, ou la passion l'emporte sur la raison, c'est-à-dire la survie est le premier critère de choix. Si les harkis ont choisi quelque chose, c'est d'abord de sauver leur vie.
De même si très peu de harkis ont déserté leur fidélité a souvent été donnée à voir pour davantage ou pour autre chose que ce qu'elle fut réellement. Les désertions étaient rares en raison même des engagements : devenus supplétifs parce que lassés ou révoltés par les pratiques du FLN ou les règlements de compte inter familles. Ils ne pouvaient quitter l'armée sans signer leur arrêt de mort. De plus, ces hommes engagés dans les harkas ou dans les SAS ont souvent été séduit par les qualités de courage ou de dévouement de ces jeunes lieutenants qui ont suscité la fidélité plus que les discours du général de Gaulle. Mais récuser cette réécriture de l'histoire qui en fait de fidèles patriotes de la France n'irait pas sans conséquences graves. Leur demande tenace d'être considérés comme français à part entière apparaît inconséquente. Comment en effet reprocher à la France de les traiter en citoyen de second ordre si par ailleurs, ils affirmaient être venus en France presque par hasard ou par nécessité ?
Situation d'autant plus complexe que les français musulmans rapatriés n'ont nullement envie de retourner vivre en Algérie puisqu'ils sont venus en France sans idée de retour et que, de plus, ils savent que l'Algérie indépendante n'est pas devenu un paradis.
La demande pressante et insistante de libre circulation vers l'Algérie ne doit pas abuser. Les français musulmans rapatriés désirent pouvoir aller librement sur leur sol natal mais en vacances seulement pour revoir les amis ou les parents qui sont là-bas. On comprend donc la situation délicate des français musulmans rapatriés anciens supplétifs. Ils veulent être pleinement français et rester en France, mais dire leur histoire risquerait, en révélant qu'ils ne sont pas toujours engagés par patriotisme français, de leur faire perdre le crédit ou l'estime de ceux qui souvent avant les élections ne tarissent pas d'éloges sur leur fidélité à la France.
De plus le thème du patriotisme français repris en public par les Présidents d'associations renforce le discours algérien sur la trahison. Toutes les jalousies interpersonnelles, les rivalités claniques, les excès du FLN, qui sont autant de facteurs décisifs d'engagements sont éludés, refoulés par l'Algérie. Il est vrai que l'enjeu est de taille, l'existence de traîtres permet par comparaison de faire apparaître le reste des musulmans comme héros. Ce qui n'est pas sans intérêt ni sans utilité sociale pour les combattants de la dernière heure qui, comme dans toute guerre, sont plus nombreux que ceux des premiers jours.
Consciente des remous que provoquerait en Algérie l'histoire des français musulmans rapatriés en remettant en cause les frontières entre héros et traître. L'Algérie n'a jamais cessé de qualifier autrement que de traîtres sans, bien sur, leur laisser la parole à un historien digne de ce nom d'analyser cet aspect. La population âgée en Algérie connaît les motifs divers de l'engagement des harkis.
Les silences et les oublis d'une société ne sont jamais simple effet de l'érosion du temps ou résultat de l'ignorance. Ainsi, le pouvoir algérien refuse l'histoire des français musulmans pour préserver le mythe d'un peuple uni, acquis tout entier et spontanément au FLN. Nier les français musulmans rapatriés permet aussi d'éviter d'analyser leurs engagements et d'exposer les erreurs et les règlements de comptes du FLN ainsi que reconnaître le génocide commis après l'indépendance au mépris des accords d'Evian.
Enfin, il y a l'occultation par l'histoire. Les manuels scolaires autant que les ouvrages historiques ignorent les français musulmans rapatriés. Ce blanc rappelle que l'histoire est au service des Etats. Mais à toute phase d'oubli succède une phase de réminiscence, comme on a pu le constater encore avec le réveil de la mémoire juive. Nul doute qu'un jour un algérien ou un français osera écrire cette page honteuse de leur histoire commune ? Il restera ensuite à leur concitoyens à avoir le courage de la lire. Pour que l'oubli n'assassine pas, une seconde fois, les milliers de victimes de cette guerre inutile et sans nom.