Libres enfants de Summerhill

Publié le 04 septembre 2007 par Argoul
L’avenir n’est écrit nulle part… sauf quelquefois dans le passé. C’est en apparence par hasard que je suis tombé sur le blog de François, 13 ans, désespéré d’effectuer la rentrée cette fois dans un internat. Ma vocation n’est pas pédagogique, encore moins d’espionner les blogs des ados, même si j’ai commis une note sur ce thème, il y a deux ans. Je suis venu sur son SkyBlog via Charles, lui-même nommé « ministre » à la réunion des blogs de Coulon. L’avenir s’écrit tout seul et, disons-le, ce François qui a pris comme pseudo « Sans-Style » m’a touché. Il m’apparaît comme le symbole du dérèglement de notre société concernant l’éducation. Entre paranoïa sécuritaire et laisser-aller égoïste.

La paranoïa vise à « assurer » le succès à tout prix, fût-ce par la solitude affective et la chiourme de l’internat. Les parents croient aux méthodes, aux programmes et à la discipline, comme si c’était à cela que se résumait toute éducation ; pire, ils exigent du résultat et ne veulent surtout pas assumer l’échec, même si cet échec peut être aussi le leur… Alors les fonctionnaires réglementent, bridant toute initiative. Et « l’éducation » conduit trop souvent à sortir de l’école sans savoir lire, ou à mal parler anglais après 7 ans d’études assidues, à placer Brest à la place de Toulon sur une carte de France (vu à l’ENA !), et à ce bac qui ne vaut rien, « aboutissement d’un système périmé et laxiste » selon Jean-Robert Pitte, Président de Paris-Sorbonne (L’Express 30 août 2007).

Le laisser-aller égoïste est un abandon d’enfant, on le laisse à lui-même sans l’écouter, sans chercher à le comprendre, en quête désespérée d’identité qu’il va prendre sur le net ou parmi ses pairs en se donnant « un style » (être ou n’être pas « emoboy », quelle question !).

Et pourtant, tout n’avait-il pas été dit dans ce livre exigeant et généreux sur l’éducation, « Libres enfants de Summerhill », écrit par A.S. Neill… en 1960 ? Certes, la société coincée, puritaine, hypocrite et hiérarchique des années 50 n’est plus la nôtre - encore qu’on y revient. 1968 a fait exploser tout cela, et l’on a été trop loin, mais peut-être était-ce nécessaire ? « Il faut épuiser le désir avant de pouvoir le dépasser », écrit Neill. Refouler par la contrainte ne supprime pas le désir ; en parler, l’explorer, le circonscrire : si. Pour former des enfants responsables, il est nécessaire de leur apprendre à ne pas s’identifier avec l’image de victime que la société est si prompte à ériger en icône vertueuse. Eduquer, signifie faire prendre conscience des risques que comporte toute vie.

Le risque le plus grave est intérieur, il réside dans la pulsion de mort de chacun. La sécurité effective repose avant tout sur la sécurité affective. Tout parent le sait pour les bébés : pourquoi feint-il de l’oublier pour les jeunes adolescents ? C’est dans le risque assumé que l’on devient réellement autonome, que l’on se découvre soi et que l’on devient alors capable de relations libres et volontaires avec son entourage – y compris les parents et les profs. Ce n’est que si l’on est responsable de soi que l’on devient aussi responsable de sa propre éducation. Donc à « travailler à l’école » en développant ce qu’on aime faire.

Pour apprendre à se construire (et à se reconstruire après une épreuve), Neill fait entendre quelques principes simples :

1. Il faut aimer les enfants. C’est plus compliqué qu’on ne croît parfois, car il faut les aimer pour eux-mêmes et non pour ce qu’on voudrait qu’ils soient. Ils ne sont ni animaux de compagnie, ni souffre-douleur, ni miroir narcissique. Laissez-les devenir ce qu’il sont, sans les tordre de mauvais principes ni les culpabiliser de n’être pas des êtres idéaux.

2. Il faut laisser être les enfants. Chacun se développe selon ses rythmes propres et rien ne sert de les brusquer. Les filles ne vont pas comme les garçons et deux frères ne suivent pas forcément les mêmes étapes au même âge (le Gamin a souffert de son aîné trop en avance lorsqu’il était petit). Neill déclare que « la paresse n’existe pas », qu’il n’existe que l’incapacité matérielle ou le désintérêt de l’enfant ou de l’adolescent. Un être immature ne peut agir « comme un adulte » : il n’en est pas un. Chaque étape de la maturation doit se faire.

3. Les enfants se développent tout seul – dans un milieu propice. Mais la liberté n’est pas l’anarchie. Les pouvoirs de l’enfant doivent s’arrêter à ce qui menace sa sécurité (dont il est inconscient), et à la liberté des autres, y compris celle des adultes. Chacun doit être traité avec dignité et, si l’adulte défend à l’enfant de planter des clous dans les meubles du salon, il doit aussi respecter l’aire de jeu de l’enfant et l’intimité de sa chambre.

4. Pour parler aux enfants, il faut les écouter. On peut les réprimander pour une faute immédiate, mais ce qu’il faut éviter est, pour toute vétille, de faire intervenir le Bien et le Mal, la mauvaise hérédité ou l’enfer ultérieur. Et toujours se demander pourquoi un enfant est agressif ou malheureux.

5. L’enfant est attentif aux règles, donnez-lui des responsabilités de son âge. Avec mesure et contrôle. Cela confirmera sa dignité et l’aidera à former sa personne. Une étude de deux auteurs norvégiens parue récemment dans ‘Science’ (316, 1717, 2007) montre que les aînés ont en moyenne un meilleur quotient d’intelligence que les autres. La principale cause de cette différence pourrait bien être le rôle de tuteur, de responsable, que joue le plus âgé sur les plus jeunes.

6. L’éducation se fait avant tout par l’exemple - et surtout pas par « la morale ». L’adulte doit être indulgent, mais rester soi-même. La pression du groupe, dans la fratrie, à l’école, par les parents et les adultes côtoyés est plus importante que les matières enseignées. Les normes sociales se corrigent par le milieu (à l’inverse, un milieu peu propice imbibera l’enfant de comportements peu sociaux).

Tout cela, le sait-on assez aujourd’hui ? L’avenir n’est écrit nulle part… sauf quelquefois dans le passé : il faut lire et relire “Libres enfants de Summerhill”, paru en 1960, pour avoir des enfants sains et heureux.