(ROMAN EN LIGNE)
LE COUP DE CHAUD
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Un roman... et c'est évidemment Tony™ qui s'y recolle ! Sacré Tony ™ ! Un roman... ou une somme de lignes superposées au mouvement de l'air ambiant. Un de ces procédés écologiques pour dire la couleur verte qui lui coule dans les yeux au lieu d'une industrie lourde incapable de le distraire vraiment. Un roman... disons plutôt une correction à la volée d'un vieux manuscrit laissé pour compte par faute de temps, l'été 2003. Le coup de chaud... où ce qui arrive à force de prendre des douches froides au travers du cadre strict d'une météo de merde. Le coup de chaud ou une façon de décliner un paquet d'histoires anciennes, des engrenages, la mécanique rouillée des passions en retard. L'effort illuminé d'en découdre avec ses vieilles leçons de voyages, les malles défaites un peu partout dans le coeur de gens admirables et réconfortants. Le coup de chaud... comme on dirait : de La poésie, le cinéma... un tas d'emmerdements à la fin.
CHAPITRE 7
L'AMANITE TUE-MOUCHES
Amanita muscaria
Madeleine ne s’était pas réellement senti concerné par l’accident de Pierre à l’époque. D’ailleurs Madeleine Conte ne s’était plus jamais senti concernée par grand chose, en vérité !… ni de cette folie passée des montagnards, ni du grand amour de Sophie pour son intelligent marquis (ses paradoxes, la probabilité d’une révolution... Tout ce qui pour finir, avait pu lui empoisonner la vie jusqu’à cette fin tragique…) Non, rien n’avait plus jamais intéressé madeleine au-delà des yeux brillants du petit garçon qui lui rendait visite de temps en temps dans sa chambre d’hôpital à Brienne-le-chateau(X). Le petit garçon et ses beaux yeux bleus, son beau regard triste qui lui rappelait pourtant quelque chose… quelque chose d’elle peut-être ?… quelque chose rien qu’à elle. Mais Madeleine n’en était pas sûre, comme Madeleine ne fut plus jamais sûre de rien. « Antoine, son petit roi, son petit prince, son petit Conte, son petit rat », « son petit papillon »... (mais Madeleine ne s’en était plus souvenu non plus !) »
-X- Château construit au XVIIIe s. Par L. Fontaine sur l’emplacement d’un château féodal. L’ancien couvent des Minimes abritait l’école militaire où Bonaparte fit ses études de 1779 à 1784 (et par conséquent : musée Napoléon) ; culture du chou ; fabrication et fête de la choucroute ; hôpital psychiatrique.
Une à deux fois par mois, Hélène recevait ces gens... dans son élégante petite robe vieux rose. Le Chanel qu’elle avait toujours préféré entre toutes. La couleur lui allait bien, un vieux rose pâle sur le teint jaune de Madeleine, mais le père d’Antoine continuait de voir sa femme, nue, en génuflexion… prosternée par-dessus de la fenêtre de leur hôtel particulier troyen… s’écartant les cuisses au-dessus de la rue, à deux doigts de sauter dans le vide en hurlant ». L’image grotesque et obsédante avait fini par lui gâché la vie.
Depuis ce jour, Charles Conte-de-Beauregard n’avait plus jamais réussi à pénétrer une femme correctement. Ni Rose, ni plus aucune autre secrétaire intérimaire qui ne demandait que ça... Madeleine et sa génuflexion... lui avaient gâché sa vie, sa virilité et le reste de ses activités commerciales. De son côté, Antoine s’était mis à la peinture et calquait à l’infini toutes sortes d’insectes lépidoptères sur des papiers jaunis qu’il envoyait à sa mère par la poste et à ses petites amies lorsqu’il avait le cafard. Ses grands yeux très clairs et sa réputation héroïque au pilier du Freney, l’avaient en partie épargné du désagrément physique contracté par son père. Au lycée par contre, où il redoublait son année de terminale, les choses allaient de mal en pis. La science et la géographie exceptées, cette année-là fut catastrophique. C’est sa professeur de Français, la première, qui fit part à son père d’une transformation malheureuse dans la conduite du garçon. Un simple exercice l’avait convaincu du bouleversement considérable de son jeune poète, oui... Un enfant très doué pour l’improvisation. Un esthète à sa manière. Un élève de talent dans la matière du maniement de la langue et sensible à ses sonorités « vous comprenez ?! » Son professeur raconta à Charles comment elle avait découvert Antoine, le nez dans un atlas d’astronomie, « oui, comprenez bien »... répétait l’enseignante. « Un simple atlas... pour parler d’un passage du Chant X (celui du Paradis) dans la Divine comédie.
SOLEIL : Astre central, lumineux du monde que nous habitons et autour duquel gravitent les planètes. Sa température superficielle est estimée à 5750°C. Le rayon du globe solaire considéré comme sphérique, vaut 109 fois le rayon équatorial de la terre. La distance de la terre au soleil est de 149,5 millions de kilomètres. Sa lumière met 8 mm 18 s pour parvenir jusqu’à nous...
Ce jour-là, Antoine hésita un long moment devant sa page blanche à cause d’une image séduisante de Marion installée à sa droite, puis recopia mot pour mot cette version mesurée du Larousse pour expédier ce qu’il pensait de l’astre éclatant. « Entendez encore Monsieur Comte... qu’Antoine aurait pu au moins s’arrêter sur les soleils noirs de la mélancolie de Nerval, le soleil de minuit de Tournier et puis les soleils mouillés de Baudelaire... tous réunis à la même page à la lettre S du Robert. Mais non, rien. Une suite de mesures toutes faites et dénuées du moindre sentiment humain, voilà tout. Une simple conclusion algébrique, je ne sais pas si vous vous rendez compte ?! » Charles ne se rendait pas tout à fait compte c’est vrai. Mais n’importe qui aurait pu voir qu’il faisait aussi un effort honnête pour intéresser la jeune femme à son activité commerciale en berne. Un outil plein d’ardeurs au savoir faire irréprochable, mais qui ne répondait plus aux exigences du marché. « Que voulez-vous ? » Charles parla avec une légère tristesse dans la voix. Un timbre sombre qui plut tout de suite à la jeune femme. « Sa drôle de bouche et ses petits yeux rentrés. Oui, peut-être ?... mais je ne suis pas certaine. Je ne m’arrête jamais à ce genre de détail physique dans la conversation d’un garçon ».
Antoine échoua au baccalauréat, mais avec un dix-neuf sur vingt en géographie et une note très prometteuse en maths.
Ils se retrouvèrent au Kane, le café le plus proche du lycée. Antoine disait le Kane comme tous les garçons, au contraire de Marion (sa voisine de droite en Français) qui préférait dire le Citizen comme la grande majorité des filles de son âge qui fréquentaient l'établissement. « Une sacrée belle plante ! » aurait affirmé Pierre (mais Pierre ne pouvait plus rien dire à présent ! ni au présent, ni même à la première forme du conditionnel passé. Pierre gisait, imparfait… écrabouillé quelque part au pied d’une affreuse paroi des Alpes du Nord). Personne, non, personne ne l’avait jamais retrouvé.
Marion était une de ces filles piquées aux croyances naturelles et à la Mythologie des peuples anciens. Un truc qu’elle tenait de sa tante à ce qu’elle racontait... Une vieille tante du côté de son père dont la famille disait que c’était une sorcière. La belle plante... ou plutôt la fleur d’élite, le p’tit bouquet... visait une carrière d’astrologue entre ses cours de science nat’ et un certain attrait pour la biologie génétique. La garance Rubia peregrina spéculait sur les lignes du ciel et apprenait à lire l’avenir dans le cœur des arbres ; le nœud, ou la rosette des bouts de bois. L’Arménia maritime (ou Gazon de l’Olympe) devinait le meilleur et surtout le pire des gens dans le bouchot ou la culée. « Depuis toujours… » racontait Marion, « l’arbre représentait un symbole universel. L’arbre cosmique autour duquel s’organisait les jolies choses du monde. Il fut un temps, expliquait encore la jeune vierge... où, bien avant l’apparition de l’homme sur la terre, un arbre géant s’élevait jusqu’aux cieux, et constituait l’axe de l’univers... »
On retrouvait ce frêne géant dans les textes traditionnels de la mythologie germanique sous le nom d’Yggdrasill. Il était le sycomore de l’Égypte antique ou encore l’olivier de l’orient musulman. Les croyances populaires de Sibérie décrivaient l’esprit d’une femme d’âge mûr qui apparaissait quelquefois entre les racines du bouleau. Ses cheveux au vent, elle découvrait ses seins nus qu’elle offrait au voyageur. Marion regrettait le monde des nymphes, les dryades et des elfes. Aux fleurs-fée... des forêts magiques, succédaient aujourd’hui la glèbe d’un monde balisé sans espoir pour lequel la jeune fille n’était pas réellement préparée...
Un samedi après-midi, la jolie fée Marion entraîna Antoine dans la forêt de Chaource toute proche. C’était là que se trouvait son arbre, une espèce d’idole en forme de hêtre baptisé du nom d’une aïeule disparue. Une déité naturelle censée protéger les hommes de la foudre et d’un tas de trucs dont parla la jeune fille avec tendresse, mais le garçon avoua qu’il avait un peu de mal à se concentrer sur ces sortes d’images hermétiques. Marion expliqua son origine lituanienne(X) à Antoine. Une filiation du côté de sa mère…
-X- HIS : En 1410 le roi Ladislas II Jagellon (grand prince de Lituanie et roi de Pologne) porta le coup décisif dans les rangs des chevaliers teutoniques. La bataille de Grunwald (Tannenberg) sonna le glas des dernières grandes croisades chrétiennes. On raconte que c’est un chêne mythique Romuva, détruit par les armées allemandes qui avait déclenché les foudres des gens de l’Est. Dégagés de leurs obligations communistes depuis 1991, et malgré leur conversion officielle au catholicisme il y a bien longtemps déjà ; les lituaniens ont renoué avec leurs anciennes coutumes forestières et pratiquent volontiers les cérémonies naturelles. Ainsi, bien souvent, dans les campagnes colorées des rives de la Baltique, certaines églises restaurées apparaissent au spectateur attentif, dans l’alignement d’un poteau de bois sacré, d’un totem à tête de serpent couronné, d’un essaim d’abeilles, ou d’un loup… des saints de bois sculptés dans la mémoire du temps, prêts à en découdre à nouveau avec le premier bolchevique qui oserait pointer son nez dans la campagne inspirée. Des saints de bois et leurs rites païens, qui sentent bon le frêne, le tilleul et l’Armoise ; le parfum des champs. (Mais qui se souviendrait encore d’un tas de choses pareilles ? disons, d’ici dix ans ?…) Des saints, quand même gonflés ! Des saints qui bombent le torse depuis 1992 pour plaire aux touristes, aux marchands ; pour plaire aux marchands de touristes… Des saints, météorisés dans la belle et grande Europe économique et libéralisée jusqu’à la sciure de ses chaussures. Des saints d’ébénisteries en kit, de charpentiers en libre-service ; des saints de bois de d’industrie lourde, des saints industriels… des saints en Teck pour prier au sec ! de l’Okoumé, de l’Amarante, des saints exotiques pour faire plus de fric ! des saints en lamellé-collé, des saints agglomérés, reconstitués… des saints promis au grand marché commun, à la monnaie unique. (Du beau bois, du bois excité par le progrès, la nouveauté ; et qui allait vite cramer... Une bonne boiserie catholique reconvertie au droit d’inventaire et à la liberté d’expression, mais tout le monde ne finirait par y voir que du feu !)
(À SUIVRE)