C'est normal d'être choqué lorsqu'un représentant d'une autorité, quelle qu'elle soit, et si distante soit-elle d'une quelconque expertise médicale, décourage des personnes vulnérables de se protéger contre une menace vitale. Les déclarations ecclésiastiques contre le préservatif sont clairement dans cette catégorie. On espère même que dire son indignation a une certaine utilité. Si les déclarations du pape ont semé le doute, il faut après tout le lever, ce doute: non seulement l'usage du préservatif est efficace contre le HIV, mais ça marche beaucoup, beaucoup mieux que de prôner l'abstinence.
Il y a en fait effectivement une méthode qui marcherait mieux que l'usage du préservatif: dépister systématiquement et traiter toute personne VIH-positive sans attendre l'arrivée des symptômes. A la première indignation peut donc s'ajouter une seconde: non seulement s'opposer au préservatif coûte des vies, mais cela fait peser le poids de l'opprobre sur les victimes plutôt que sur le monde riche, qui serait techniquement capable d'éradiquer la pandémie...
Même avec de bonnes raisons de s'indigner, cela dit, n'oublions pas que des actions plus concrètes peuvent aussi être utiles. Stuart Rennie résume bien la situation sur son blog de bioéthique internationale. Face à un danger pour la santé publique, on commence par en mesurer l'impact et les effets, pour être mieux en mesure de les contrer. La surveillance de la grippe aviaire, des effets du tabagisme sur la santé mondiale, autant d'exemples de l'importance que l'on accorde à observer les sources de menaces sur la santé des populations. Eh bien, faisons-en autant pour les églises. Cet exemple récent, catholique par hasard peut-être, car d'autres sont en situation similaire, en illustre l'utilité. Un observatoire de l'effet des religions sur la santé. Pourquoi pas? Comme on l'a déjà fait pour les déclarations anti-VIH du président Mbeki en Afrique du Sud (environ 330'000 victimes) on compterait les victimes des déclarations papales contre le préservatif. Et, pourquoi pas, celles des avortements de rue, de l'infibulation, du refus parental de traitement pour leurs enfants pour raisons religieuses, etc, etc, bref de toute attitude encouragée en connaissance de cause par une religion organisée et délétère pour la santé. Des études observant le lien entre l'appartenance religieuse et la santé montrent des résultats complexes. On sait par exemple que les personnes fortement religieuses on plus tendance que d'autres, aux USA, à demander des mesure invasives de maintien en vie artificiel aux soins intensifs, là où d'autres verrait de l'acharnement thérapeutique. Un résultat qui peut être contre-intuitif. Quoi qu'il en soit, ces études se sont pour le moment limitées à des cas de figure très précis: des personnes ayant survécu jusqu'à un âge adulte plus ou moins avancé, dans des pays aisés, bien intégrées dans des communautés soutenantes. Elles étaient pour la plupart atteintes de cancer, une maladie dont la prévention (quand il y en a) est surtout basée sur le dépistage précoce et parfois la consommation de légumes, donc rien qui ne puisse gêner la moindre prescription religieuse. En bonne épidémiologie, il est temps d'élargir ces observations à d'autres types de situations...