Si nous sommes aujourd'hui dans le bureau d'une obstétricienne de l'hôpital de Gap, ce n'est pas parce que nous y envisageons la naissance de notre enfant; nous souhaitons simplement connaître la position de l'équipe si mon accouchement devait se déclencher plusieurs semaines avant terme et qu'il faille nous diriger vers la maternité la plus proche. Nous savons que les médecins n'accepteront pas de me laisser tenter un AVA2C, mais peut-être seront-ils d'accord pour laisser les choses suivre leur cours si je débarque en cours de travail...
- « Vous êtes enceinte de combien ? Bientôt sept mois, d'accord. Bon, il faudra que je lise votre dossier en détail...
- « Peut être vais-je vous épargner cette tache, nous avons une demande bien particulière. Après deux césariennes, je ne souhaite pas en subir une troisième. »
Son visage se ferme, elle se raidit sur son siège et nous répond : « C'est absolument impossible, pas ici, pas en France ! » Puis elle semble se raviser et nous demande si nous connaissons quelqu'un qui a accouché par voie basse après deux césariennes. Je réponds oui. Certes je ne les connais pas vraiment, mais à force de discuter sur les forums, je n'ai pas l'impression de faire un gros mensonge. Elle enchaîne en nous expliquant que les recommandations du CNGOF (Collège national des gynécologues obstétriciens de France) prohibent la pratique de l'accouchement par voie basse sur les utérus cicatriciels. Évidemment ce ne sont que des recommandations, mais en cas de problème lors de l'accouchement et de plainte en justice, elles seraient déterminantes pour établir la responsabilité du médecin. Pas question donc de prendre le moindre risque.
La peur du procès serait donc une explication... Admettons. Sauf que quelques jours plus tard, une émission de France Inter (décidément !) consacrée à l'univers médical vient battre en brèche cet argument. Censés s'opposer sur tous les points, les deux intervenants tombent pourtant d'accord sur un constat : si le nombre de plaintes a bien augmenté au cours des dernières années, les poursuites sont en revanche restées à un niveau constant. En fait, toute action est stoppée net dès que le médecin consent à descendre du piédestal sur lequel il se pense perché et prend le temps d'expliquer ce qui s'est passé concrètement. En résumé, lorsque nous sommes considérés et respectés en tant que patients, donc informés, les procédures n'ont plus lieu d'être. Il faut co-mmu-ni-quer !
Ça tombe bien, c'est ce que fait le Dr D. Elle nous dit même ne pas craindre ces fameuses plaintes; c'est, selon elle, le lot commun de tous les obstétriciens. Et elle semble bien décidée à ne pas se laisser dicter sa conduite par une quelconque appréhension. Mais pourquoi refuser cet tentative d'AVA2C alors ?
Place aux arguments suivants. En résumé et dans le désordre : « S'il y a rupture utérine, ça peut être fatal à l'enfant comme à la mère. » « En cas de rupture, nous ne sommes pas équipés de tout le matériel nécessaire pour arrêter l'hémorragie. » « Il est très difficile pour un médecin de se remettre du décès d'une patiente ou de son enfant, ou même des deux. » Elle le sait, elle l'a vécu en tant qu'interne il y a quelques années.
Après avoir grillé toutes ses cartouches, elle ne peut que constater que nous campons sur nos positions, voire même que nous argumentons en citant des études ou en relativisant les risques de l'AVA2C par rapport à ceux de la césarienne. Elle ne s'énerve pourtant pas, notre capacité à soutenir le débat semble même lui faire plaisir. Je pense qu'elle nous aime bien. D'ailleurs elle n'hésite pas à nous le dire : elle répond aujourd'hui à nos questions en tant que professionnelle de santé, mais elle comprend tout à fait notre démarche et la trouve légitime. Mais rien à faire, même si j'arrive en cours de travail, pas moyen de négocier ! « À moins que la tête de votre bébé soit déjà contre le périnée, ce sera césarienne d'office. » Elle nous propose tout de même de présenter le dossier en staff tout en précisant qu'elle connaît à l'avance ce qu'il en ressortira. Ça nous fait une belle jambe !
Mais au lieu de se débarrasser de nous, voilà qu'elle nous donne des conseils. « Essayez de prospecter les centres hospitaliers universitaires des grandes villes; avec les moyens en matériel et en personnel qu'ils ont, ils seront peut-être plus enclins à accéder à votre demande... » En revanche, elle nous déconseille de nous adresser à des cliniques privées; les obstétriciens auraient tendance à y privilégier les actes programmés. Peut-être a-t-elle raison ? Mais nous avons un rendez-vous avec un des obstétriciens de la clinique de Vitrolles. Obstétricien avec qui j'ai eu un très bon contact téléphonique et qui, d'après ce que je lui racontais, ne voyait pas de raison de s'opposer à la voie basse. Nous verrons bien...
Plus intéressant, elle nous donne le nom de son ancien chef d'internat qu'elle nous décrit comme un adepte de la voie basse qui voit l'obstétrique comme une école de patience. Quand elle terminait ses études sous sa tutelle, il officiait à Besançon; aujourd'hui, il est chef de service au CHU de Grenoble... à deux grosses heures de route de chez nous. Une nouvelle piste s'ouvre à nous. Après avoir pris rendez-vous à Pertuis et Vitrolles, Grenoble nous tend les bras.
En prenant congé, le Dr D. nous propose même de la rappeler si nous ne parvenons pas à obtenir un rendez-vous avec son ancien chef assez rapidement. « S'il y a le moindre souci, je lui enverrai un mail pour lui exposer votre situation, je suis sûre que ça l'intéressera. » Elle nous quitte sur une dernière réflexion qui en dit long, à la fois sur son état d'esprit et sur l'impasse dans laquelle elle se trouve. « Si ça ne tenait qu'à moi... » Ça ne résout pas notre problème, mais quelle différence entre l'impossibilité catégorique énoncée une demi-heure auparavant et l'espoir entretenu par ces points de suspension !