La banque du sang…

Publié le 21 mars 2009 par Boustoune


L’enquête – The international
, le nouveau film du cinéaste allemand Tom Tykwer, a le mérite de pointer du doigt un sujet particulièrement d’actualité : le rôle de certaines grandes banques internationales dans le blanchiment d’argent et le financement d’actions illégales.
En suivant les investigations de deux policiers pugnaces, un agent d’interpol (Clive Owen) et l’ajointe du District attorney de Manhattan (Naomi Watts), il décortique tous les rouages d’un vaste système tentaculaire, impliquant des intérêts publics et privés dans plusieurs pays du globe. L’argent transitant par ces banques provient de trafics en tous genres (drogues, vente d’armes,…), de groupes occultes (mafias, cellules terroristes, agences d’espionnage…), et de malversations financières. Il permet ensuite de financer des révolutions ou des coups d’état qui accordent encore plus de pouvoir aux différents intervenants, et leur permettent d’asseoir encore davantage leur emprise sur le reste du monde.
Le cinéaste et son scénariste, Eric Singer, dénoncent les collusions entre le pouvoir et l’argent, ainsi que les méthodes mises en œuvre pour garantir la pérennité du système, qui vont de la simple intimidation jusqu’au meurtre.
 
Le constat fait froid dans le dos, d’autant qu’il s’inspire d’un fait divers réel. La faillite de la B.C.CI (Bank of Credit and Commerce International), un groupe basé au Luxembourg, mais dirigé par des hommes d’affaires du Pakistan et du Moyen Orient, a permis de découvrir que la banque finançait un gigantesque trafic d’armes, alimentant terroristes et mercenaires, plus de nombreux trafics de stupéfiants. (*)
On n’est pas très loin des mécanismes mafieux décortiqués l’an passé dans le Gomorra de Matteo Garrone. Mais à la différence du cinéaste italien, qui avait délibérément choisi une approche documentaire, s’appuyant sur le livre de Roberto Savio, Tom Tykwer semble hésiter entre un certain réalisme, dans l’esprit des thrillers d’espionnage de Sidney Pollack (Les trois jours du Condor, La firme), et un thriller d’action pure et dur.
C’est là que le bât blesse, le rythme du film souffrant un peu de cette ambivalence.
Pendant la première moitié du film, l’enquête répète le même schéma narratif en boucle. Les enquêteurs débarquent dans un pays, sont confrontés à l’hostilité des autorités en place et arrivent in-extremis à trouver des indices leur permettant d’ouvrir de nouvelles pistes. Ceci permet de mettre en place patiemment les pièces du puzzle que constitue l’organisation criminelle et confère à l’œuvre son authenticité, mais la répétition des nœuds narratifs et le manque d’action finissent par lasser un peu.
Dans la seconde partie, cela bouge un peu plus. Le thriller reprend des allures plus conventionnelles, avec suspense et morceaux de bravoure. Le point d’orgue étant une longue et incroyable séquence de fusillade en plein cœur du musée Guggenheim, à New York. Incroyable, oui… C’est justement cela le problème. On perd en crédibilité ce que l’on gagne en tension dramatique.
Il en découle un sentiment assez mitigé, la sensation d’être passé de peu à côté d’un très grand film. Le film aurait probablement été dynamisé par une meilleure utilisation du personnage de Naomi Watts. Celui-ci semble curieusement sous-exploité, un peu en retrait par rapport à son homologue masculin. En jouant sur une progression en parallèle des investigations, lui plus sur le terrain et elle plus en proie aux contraintes administratives, l’œuvre aurait pu progresser de façon un peu moins linéaire. Ceci était peut-être prévu dans le script original, mais le fait que la comédienne ne soit disponible qu’en fin de tournage, pour pouvoir récupérer de la naissance de son fils, a probablement conduit à quelques aménagements scénaristiques.
 
Du coup, le film repose presque exclusivement sur les épaules de Clive Owen. Heureusement, l’acteur britannique est absolument parfait dans ce rôle de flic usé, tourmenté par des drames personnels, hanté par les sacrifices consentis pour tenter, de façon dérisoire, de lutter contre cette structure tentaculaire et surpuissante. Un vrai personnage de roman noir, happé par un mécanisme de violence et de mort qu’il ne maîtrise pas, mais contraint d’aller jusqu’au bout de sa quête vengeresse. S’appuyant sur le talent de l’acteur, et sa capacité à retranscrire des émotions avec une économie de paroles et de gestes, Tom Tykwer a su prendre le temps de développer le personnage sans délaisser pour autant le cheminement de son intrigue principal.
Dans cette construction habile, même les petits détails ont leur importance et ont été particulièrement soignés. On notera ainsi qu’au fur et à mesure du déroulement de l’histoire, on passe d’une architecture moderne – l’introduction se passe près de la nouvelle gare centrale de Berlin – à des décors plus anciens – l’épilogue a lieu en Turquie, sur les toits d’Istanbul. Sans doute pour symboliser la perte progressive des repères du personnage joué par Clive Owen, le retour a des sentiments primitifs, des instincts basiques.

Dans le même souci d’authenticité et de profondeur, le casting a été brillamment orchestré. Pour un film dont l’action se déroule dans plusieurs pays du monde, il fallait un casting cosmopolite. Outre le britannique Clive Owen et l’australienne Naomi Watts, on trouve le trop rare acteur allemand Armin Mueller-Stahl, excellent dans le rôle de cet ancien dignitaire communiste est-allemand devenu conseiller de l’une des pires machines capitalistes qui soient, le danois Ulrich Thomsen, également très bon en directeur froid et implacable, les américains Jack McGee et James Rebhorn, le français Laurent Spielvogel, et une multitude d’acteurs anglo-saxons, italiens, turcs,…
Même si, en raison de petits défauts assez agaçants, on reste sur la frustration d’être passé de peu à côté d’un film magnifique, il convient cependant de ne pas faire la fine bouche. L’enquête – The international est l’un des thrillers les plus ambitieux que l’on ait vu depuis longtemps. Grâce à la mise en scène inspirée de Tom Tykwer, qui joue subtilement sur la paranoïa et le côté désespéré de l’entreprise, et grâce au jeu impeccable de Clive Owen, l’ensemble – divertissement efficace et film à charge contre un système corrompu de l’intérieur – s’avère tout à fait recommandable.
Note :
(*) : Pour plus d’informations sur le fait divers, cliquez sur ce lien : L'affaire BCCI

Tags : L'enquête - The International, Tom Tykwer, Clive Owen, Naomi Watts, Armin Mueller-Stahl, banque,
   corruption, trafic, thriller, fusillade ,Guggenheim