Le roman raconte comment Scott, le narrateur, empêtré dans sa dépendance à la méthamphétamine, quitte New York et son boulot alimentaire pour rejoindre sa mère, au fin fond du Kansas, afin de l'assister dans ses derniers jours, suite à l'avancée de sa maladie. Mais Dona, la mère, a bien changé depuis la dernière fois qu'il l'a vue. La maladie l'a affaiblie, certes, mais elle est surtout obsédée par les disparitions d'enfants qui se produisent dans tout le pays, obnubilée par la recherche de témoignages, de preuves et, qui sait, de coupables. Elle interroge les parents, visite les lieux de rapts, collectionne les coupures de presse.
Pour le lecteur belge, qui a vécu les années de comités blancs, la chasse aux sorcières et aux réseaux, la traque des magistrats et notables cachés derrière les enlèvements d'enfants, et bien d'autres formes de paranoïa collectives qui ont vicié les débats et la vie publics durant plusieurs années, jusqu'au procès définitif de Marc Dutroux, l'idée de suivre une mère et son fils dans leur quête des méchants inconnus qui s'en prennent aux enfants angéliques, même dans un texte de fiction, a tout pour déplaire. Et pourtant... une fois acceptée l'idée (si on ne l'accepte pas, on repose le roman avant même de l'ouvrir car le contexte est posé dès les premières lignes), on découvre un roman dont le sujet est tout autre, bien plus profond et touchant que la quête des coupables, porté par un couple de laissés pour compte terriblement humains.
D'un côté, il y a une mère alcoolique en rémission, cancéreuse au stade avancé, gentille et entière, dont la raison semble avoir basculé pour de bon de l'autre côté de cette fine frontière qui départage le bon sens du délire. De l'autre, un fils toxicomane, timide, mal à l'aise, excité par les produits qu'il fume ou inhale, assommé par les somnifère qu'il avale chaque soir. Une belle paire de déchets aux yeux de l'Amérique bien pensante ? Non, deux Américains comme tant d'autres, justement, en vie malgré tout, à l'instar de tous les autres personnages que l'on croise dans cet épais roman : une voisine plaquée par son mari, un gamin en fugue, des habitants du coin accueillants mais tous portés par une sorte de nonchalance dépressive, qui devrait faire peine à lire et n'inspire pourtant que de la compassion et de la sympathie.
Car il y a bien un tour de force dans l'écriture de Scott Heim, une sorte de manœuvre de prestidigitateur, qui, à partir d'un sujet sombre, voire plombant, parvient à atteindre l'essence même de ce qui fait l'espèce humaine, ce fil d'humanité qui se transmet d'une génération à l'autre, qui survit à la mort et dépasse la simple mécanique de chair et d'os ou les rapports de force qui lient les êtres entre eux. Difficile d'en dire plus sans dévoiler l'épaisseur même du roman, qui ne se révèle que dans les dernières pages, quand le titre du livre se met à résonner d'une tout autre façon aux oreilles du lecteur, quand les disparitions d'enfants cèdent la place à des disparitions d'un tout autre type, moins spectaculaires sans doute, moins alarmantes et moins émotionnelles, mais probablement plus humaines, tout simplement.
L'écriture de Heim est sans fioriture, elle se borne à raconter les faits, à rendre compte du déroulement des journées, et c'est par cette objectivité précisément qu'elle parvient à rendre palpable et vertigineuse la sensation que nous aussi, un jour, nous disparaîtrons, comme tout le reste.
« Nous disparaissons » est un roman de Scott Heim, traduit de l'américain par Christophe Grosdidier, publié Au Diable Vauvert. Le même éditeur avait déjà publié son premier roman, « Mysterious skin », il y a quelques années. Pour les fans de détails techniques, il y a 380 pages et le bouquin coûte 23 euros, qu'on ne regrette pas.