Valse avec Bachir (césar du meilleur film étranger et tant d’autres…) est une oeuvre cinématographique tout à fait inédite puisqu’elle marie animation et autobiographie. Le personnage principal n’est autre qu’Ari Folman, le réalisateur israélien, et pour l’avoir vu lors d’interview, la ressemblance avec le personnage animé est frappante (à noter qu’il double lui même la voix de son personnage dans la V.O.). Mais en plus de son aspect autobiographique, c’est-à-dire du point de vue subjectif de l’histoire, le réalisateur lui revendique celui la qualité de documentaire. Valse avec Bachir est donc un documentaire animé autobiographique.
Il nous sera difficile de vous retranscrire le contexte de l’Histoire puisque c’est ce contexte qui fait l’histoire. Ainsi, pour maintenir votre intérêt nous ne préciserons que les grandes lignes : la guerre du Liban. C’ette guerre était - très grossièrement - une guerre communautariste opposant les libanais entre eux, les chrétiens aux musulmans pour la prise du pouvoir en 1975. C’est aussi et surtout une guerre régionale. Avec d’abord l’intervention des palestiniens et de leurs forces armées (l’OLP) qui combattent les milices chrétiennes libannaises après avoir affronté l’armée libanaise elle-même. C’est ensuite à la Syrie de s’en mêler en entrant au Liban pour contrôler l’OLP dans ses débordements (en alliance tacite avec les chrétiens) avant de se retourner contre les chrétiens en réaction du rapprochement de l‘Egypte avec Israël (accords de camp David).
Pour des raisons géo-politiques évidentes, la Syrie fait ainsi le choix de contrer Israël par partie interposée (à l’instar de la guerre froide) en construisant, à partir de la présence palestinienne au Sud du Liban, une base de pouvoir pour contester l’influence d’Israël dans la région. Pour un ensemble de raisons liées à la monté des périls en 1979-1980, Israël décide alors de “nettoyer la région”.
Là interviennent les considérations internationnales puisque les mouvements progressistes musulmans gênent de plus en plus les occidentaux, notamment les Etats-Unis. A l’époque, Reagan est au pouvoir et alimente une vision bi-pôlaire du monde : nous sommes en pleine période de guerre froide. Tous ceux qui n’étaient pas avec l’occident étaient du côté du bloc soviétique. D’où la permissivité très forte des Etats-Unis envers Israël (qui a alors carte blanche).
Bashir est le fils du fondateur d’une milice quasi-fasciste chrétienne : les Phalangistes. Bashir intéresse les israeliens car il semble être un allié possible pour installer un régime à la tête d’un pays qui serait le deuxième à faire la paix avec Israël après l‘Egypte. L’idée : utiliser l’invasion israëlienne pour nettoyer le Liban de la présence palestinienne, sortir la Syrie du Liban en renversant les rapports de force, installer Bashir à la tête du Liban qui signera ensuite un accord de paix avec Israël tout en installant un régime proche de ce dernier.
Malheureusement, en cours de route, Bashir fut assassiné alors même qu’il était un véritable héros pour l’ensemble des résistants. Principal embryon du déclement de massacres dans les camps muslmans libanais (Sabra et Chatila )par les milices endeuillies de leur chef. Ariel Sharon laissera faire ces massacres en ouvrant l’accès à ces camps aux miliciens (toute l’opération était préparée). Ari Folman, dix neuf ans, fait alors partie de l’armée israelienne.
Le film débute alors qu’Ari, la cinquantaine, est réveillé par un ami qui cauchemarde des souvenirs de cette guerre passée dans les rangs israeliens. C’est ainsi qu’Ari se rend compte qu’il a tout oublié de cette période. Commence alors une longue route à la recherche d’une mémoire oubliée. Une mémoire qu’il retrouvera petit à petit en retrouvant d’anciens camarades. Le spectateur suit pas à pas la reconstruction du film ; d’une vie. Passionnant, touchant et choquant. Tout y passe. La question étant: qu’à-t-il fait pendant la guerre? A-t-il participé au massacre? A-t-il commis d’autres crimes odieux? Pourquoi donc sa mémoire a voulu oublié - comme l’a fait notre mémoire collective - les vestiges de cette vie là?
La réalisation est sublimée par des couleurs aux symboles forts, une animation elle-même unique (qui donne parfois un aspect étrange, du fait de mouvements qui manquent de naturel, trop “robotisés”) mais qui impressionne et fait plaisir à voir. On assiste à de vrais tableaux animés où le moindre petit détail compte, à l’image d’une mémoire défecteuse. Le réalisateur affirme qu’il ne pouvait pas retranscrire sa mémoire autrement que par visions d’animations. L’effet aurait perdu de sa force s’il en avait été autrement. L’animation est donc en elle même un symbole.
Quant à la bonne son, (elle aussi a été récompensée), c’est un compositeur électro qui a été mis aux commandes et le résultat est planant. La musique occupe une place de premier choix avec des titres tantôt électro, tantôt électro-pop- rock… Très sympa!
Valse avec Bashir est donc un film en tous points uniques, à la fois fantastique et terriblement terre-à-terre. Le septième art a une fois encore été réinventé. Pas de doute, ce film est culte.
E.