Sandrine Vincent, « Le rôle du jouet dans la mémoire familiale ou comment les jouets finissent-ils leur vie ? », Dialogue, 2001
N'avons-nous pas tous gardé au fond d'un coffre, d'un placard, au grenier ou à la cave un jouet témoin de notre enfance ? Rappelez-vous cette scène du film Amélie Poulain dans laquelle, apprenant la mort de Lady Diana, Amélie laisse tomber un objet dans sa salle de bain, qui roulant sur le carrelage descelle un carreau qui, une fois enlevé, découvre une cachette d'enfant. Elle y trouve une boite pleine de souvenirs d'enfants...Et bien, oui ces jouets d'antan conservés avec soin peuvent être un objet pour la sociologie.
En examinant les raisons pour lesquelles certains jouets ne finissent pas à la poubelle mais plutôt au fond d'un coffre à trésors, Sandrine Vincent, dans l'article que je vous propose cette semaine, souligne leur rôle dans la construction de la mémoire familiale.
Les entretiens qu'elle a menés montrent que quels que soient leur milieu socioculturel ou leur niveau de ressources, les parents et les enfants accordent une grande importance aux jouets, au point de ne pas pouvoir souvent ni les jeter ni les remplacer. Ainsi, même lorsqu'il n'est plus utilisé, le jouet n'est que très rarement destiné à la poubelle : donné à une association, rangé dans un carton, exposé sur les étagères d'une bibliothèque ou trônant sur le lit, tout est bon pou ce jouet, sauf la poubelle.
Sandrine Vincent montre que les jouets que l'on garde sont surtout ceux de la prime enfance, c'est-à-dire les premiers avec lesquels on s'est amusé, qui correspondent à une période de l'existence bien enfouie.
D'autre part, elle met en avant que ce sont surtout les parents qui préservent les jouets de leurs enfants, ce qui peut s'expliquer par le fait que les jouets, au-delà des souvenirs d'enfants, expriment la filiation. Ils permettent aux parents de marquer une certaine continuité entre les enfants qu'ils ont été et les enfants qu'ils continuent à être à travers leurs enfants. A ce titre, certains parents « lèguent » leurs jouets à leurs enfants. Les jouets peuvent aussi permettre d'évoquer les grands-parents disparus et ainsi conserver, en eux, le souvenir des aïeux. Les jouets participent à la transmission de la mémoire familiale. Connaître l'origine familiale des jouets prend toute son importance lorsque les enfants grandissent. Les jouets témoignent des relations privilégiées que les adultes d'aujourd'hui avaient le plus souvent avec leurs grands-parents.
"Les jouets marquent la continuité d'une génération à l'autre et inscrivent l'enfant dans la lignée, lui signifient ou lui rappellent son identité individuelle et familiale". De même que les albums de photos ou les « papiers de famille », les jouets cristallisent l'appartenance familiale.