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Audiovisuel : comment TF1 & Co gagnent la bataille des lobbies

Publié le 20 mars 2009 par Pslys

Depuis des mois, en coulisses, les groupes d’intérêt s’efforcent de tirer le meilleur profit de la loi réformant l’audiovisuel.

Certains de ces groupes de pression s’activent depuis le 8 janvier 2008, date de l’annonce par Nicolas Sarkozy de la suppression de la publicité sur France Télévisions. D’autres s’étaient préparés loin en amont, quelques-uns se sont lancés dans la course un peu tard. Bilan: les députés de tous bords ont proposé 870 amendements visant à modifier le projet de loi 1209 relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.

Lors d’un dîner, les lobbyistes font le siège du rapporteur UMP

Mardi 18 novembre, un restaurant au septième étage d’une annexe de l’Assemblée nationale accueillait un dîner du Club parlementaire pour l’avenir de l’audiovisuel (CPAA). Cette structure n’a aucune existence officielle à la Chambre, contrairement à un groupe parlementaire, par exemple. Elle est financée par des chaînes de télévision (privées ou publiques) et des groupes de télécom, et co-présidée par le député UMP Frédéric Lefebvre et par Emmanuel Hamelin, autre membre du parti majoritaire qui n’est plus parlementaire depuis les dernières législatives. Lefebvre, “porte-flingue” de Sarkozy, est toujours actionnaire (en nue-propriété, donc sans en toucher les bénéfices) d’un cabinet de lobbying, Pic Conseil, qui a notamment Bouygues Télécom pour client.

Invitée d’honneur du dîner organisé à une semaine du début de l’examen de la loi à l’Assemblée, la ministre de la Culture et de la Communication, Christine Albanel. Parmi la centaine de convives, des représentants de toutes les structures intéressées à la loi (chaînes, radios, producteurs, groupes télécom, mais pas de syndicats de salariés), des patrons comme Pascal Nègre (Universal) ou des élus comme Patrick Balkany (député-maire UMP de Levallois). Et une quinzaine de journalistes.

Des propositions d’amendement reprises telles quelles par les députés

Après le dîner, le député UMP Christian Kert, rapporteur de la commission spéciale qui examine les amendements, est littéralement pris d’assaut. Des lobbyistes -représentant notamment Lagardère, NRJ et une association de producteurs de cinéma- le pressent de questions en s’efforçant de le convaincre d’adopter leurs positions. Un journaliste qui assiste à la scène s’amuse: “C’est fascinant, la loi est en train de se faire sous nos yeux!”

Soit en direct (les sociétés contactent les législateurs), soit par le biais de cabinets de lobbying, ces acteurs bombardent depuis des mois les députés de propositions d’amendements, comme le montre ce courrier émanant d’un fournisseur d’accès à Internet. Parfois, ainsi que le révèle Le Canard Enchaîné cette semaine à propos de TF1, les textes envoyés sont repris tels quels par les parlementaires. En l’occurrence, Christian Kert lui-même défend l’idée de plafonner l’assiette de la taxe pour les télés privées à 50% de l’augmentation de leur chiffre d’affaires publicitaire.

Des députés UMP régalés au siège de TF1

TF1 s’est montrée particulièrement soigneuse avec les élus de la majorité. La chaîne -qui a répondu “pas de commentaire” à notre demande d’interview- les a reçus par charrettes entières à son siège du Point du Jour, à Boulogne-Billancourt, pour des petits-déjeuners, des déjeuners ou des dîners. Souvent, des amendements étaient proposés dès le lendemain.

Après un repas mercredi 19, ce fut le cas de celui, très controversé, visant à imposer à France Télévisions la diffusion de films institutionnels sur les “grandes causes” au lieu de démarrer ses programmes de soirée dès 20h35. Manière de ne pas concurrencer les tunnels de pub traversés au même moment sur les chaînes privées. L’amendement en question n’a pas passé le filtre de la commission et ne sera pas débattu.

Un chercheur: “L’intérêt du service public n’a pas été relayé”

De l’avis d’un lobbyiste travaillant pour des opérateurs télécom et des chaînes de la TNT payante, “TF1, Canal+ et M6 sont les grands gagnants de cette bataille d’influence”. Pour l’instant, car le texte débattu en ce moment à l’Assemblée passera ensuite au Sénat, avant de retourner à l’exécutif pour la rédaction des décrets d’application. Autant de niveaux d’intervention pour les groupes d’influence.

Chercheur au centre de recherche politiques de Sciences Po (Cevipof) et spécialiste du Parlement, Olivier Rozenberg reprend à son compte le constat d’un observateur britannique du dossier, “frappé par l’inégalité du lobbying”:

“France Télévisions s’est mal organisée, n’a pas pondu de rapports ou missionné d’experts. Du coup, le lobbying est parti dans un seul sens, celui du privé, et l’intérêt général du service public de l’audiovisuel n’a pas été relayé.”

France Télévisions, objet de la loi, partait perdante

Le secrétaire général de France Télévisions, Camille Pascal, répond que son groupe n’est pas dans une position très confortable:

“Nous sommes l’objet de la loi et notre actionnaire est aussi représenté par le Parlement. Cela nous met dans une position très différente de celle des acteurs privés.”

Du coup, le groupe public a dû se contenter de faire de la “sensibilisation douce” pour “contrecarrer le lobbying des autres”: “Des dîners de parlementaires à France Télévisions en présence de Patrick de Carolis et de visages connus de nos chaînes, une lettre d’information trimestrielle envoyée aux parlementaires…”

Camille Pascal, qui s’était lancé dès septembre 2007 pour palier “le déficit de lien” entre son groupe et le Parlement, n’est pas mécontent du résultat:

“Pour l’instant, nous considérons que, sur les quelques points qui nous posaient des difficultés, nous avons été entendus.”

Le haut fonctionnaire ne donnera pas d’exemple précis, puisque “ce serait montrer du doigt tel ou tel parlementaire”.

“Une connivence naturelle entre la droite et les chaînes privées”

Voilà donc comment une réforme réclamée de longue date par TF1 et M6, soufflée à l’oreille du Président par Alain Minc (conseiller de Vincent Bolloré) se retrouve, à son arrivée devant l’Assemblée, taillée au principal bénéfice du privé. Nonobstant l’avis de la Commission Copé, dont les recommandations -hausse sensible de la redevance notamment- font aujourd’hui presque figure de cadeaux à France Télévisions.

Le député PS Didier Mathus, qui suit cette loi pour son parti, n’a pas été invité à déjeuner par TF1, mais a reçu son PDG, Nonce Paolini. “C’est tout à fait normal qu’il vienne défendre ses intérêts”, dit-il. Selon le socialiste, qui refuse de participer aux dîners du CPAA, il existe une telle proximité “idéologique” entre cette chaîne et la majorité parlementaire que TF1 peut se contenter d’un lobbying “assez soft”.

“A ma connaissance, les députés de droite ne se font pas acheter. Depuis la privatisation de la chaîne en 1987, il y a juste une sorte de connivence naturelle entre la droite et les chaînes privées.”

Source et crédit photo : Rue89


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