Une réforme du lycée en mathématiques sera, de mon point de vue, majeure si les contenus proposés sont assortis de réelles nouveautés dans la façon d'enseigner, de motiver les élèves, de les entraîner, de réorganiser la classe, de définir des exigences et les moyens de transmission des connaissances et des techniques, de proposer et d'imposer des laboratoires de mathématiques comme ils existent déjà en physique et en SVT. Il faudrait que des nouveautés pédagogiques apparaissent clairement dans les ouvrages ou sur le Net et soient citées dans le corps du texte officiel. Il pourrait être intéressant de demander à ce qu'apparaissent dans les nouveaux manuels et les programmes, des formulations qui ne s'adressent pas à l'élève seul mais aussi à un petit groupe d'élèves homogène ou hétérogène, que de réelles pistes motivantes soient trouvées et que ce ne soit pas toujours le prof, seul dans son coin avec sa classe, qui soit invariablement à l'origine de la demande vers le groupe, mais que celle-ci puisse parfois être développée et prise en charge par les élèves eux-mêmes. On peut penser à l'écriture ou la réécriture, individuelle ou collective d'un cours avec certaines contraintes à partir d'un manuel ou du net par les élèves, la publication en ligne, trouver des exemples l'illustrant, réaliser un exercice "lourd" en mettant en commun plusieurs groupes. Autant d'idées possibles qui peuvent se développer mais dont le professeur ne doit pas être à chaque fois l'artisan. Pour cela, il faut réorganiser les espaces, certaines heures de classe, construire différemment les manuels, ne pas les concevoir comme un cumul de chapitres que l'on doit égrainer un à un jusqu'à épuisement du prof, de la classe ou du temps, penser à la publication en ligne ( coté prof et coté élèves) et concevoir qu'un même exercice doit impérativement se rédiger sous diverses formes, tout comme on peut traiter un problème mathématique avec la géométrie pure ou la géométrie analytique.
Les éditeurs de manuels peuvent aussi se poser la question de la production en ligne de documents accompagnant le manuel de l'élève, les présentant de façon différente afin que les élèves en classe répartis en groupe ou seuls, ou bien chez eux, soient réellement acteurs de leurs recherches avec le manuel, que le cours ne soit pas sans cesse construit à partir de l'extérieur, que les exercices ne soient pas toujours distribués les uns après les autres, concevoir des parcours de difficultés diverses. Certains élèves pourraient être réconciliés avec des notions simples. Le cours du professeur serait seulement dispensé de façon académique lorsque la notion est technique et demande une mise en forme extérieure au départ. Cependant pour que cela fonctionne, il faut une réelle volonté pour casser l'individualisme scolaire, que l'on reproduit et conserve de fait, en distribuant aux élèves à chaque séance, le cours, des activités préparatoires, des exercices ou des DM qui sont des formes différentes d'un même noyau, ne mettant en avant qu'une seule approche, et renvoyant à chaque fois l'élève à sa solitude avec ses difficultés ou ses trop grandes facilités. Je pense effectivement que si il y a Réforme avec un grand R, c'est tout le principe de transmission qui doit être revu, principalement en Seconde où l'hétérogénéité est telle qu'elle n'est pas enrichissante contrairement à ce qui a été dit par le passé. Nous arrivons à une charnière où la modification de la forme s'avère au moins aussi importante que l'évolution du fond. Refuser ou accepter un contenu ne dit rien sur le fait de modifier ou non la forme de sa transmission et de son assimilation par une population d'une hétérogénéïté extrême. Savoir si le sujet traité est la relation de Chasles, la linéarité de la moyenne ou les intervalles de confiance me parait un peu second, parce qu'en Seconde, ces notions ne susciteront pas de toute façon pas une liesse collective et de savoir qui des mécaniciens, statisticiens ou probabilistes ont le plus d'influence dans la conception des programmes n'a que peu d'intérêt. ( et je suis Mécanicien donc j'adore les vecteurs....) Par contre une chose est certaine, il y a des contenus mieux adaptés à certaines pratiques. Tout contenu ne doit pas être nécessairement formulé sous forme de connaissances à acquérir mais peut aussi être exposé sous forme de pratiques à répéter et de dextérité à atteindre en fonction d'objectifs personnels de l'élève. L'exercice répétitif permettant d'accéder à une technique peut sans doute être introduit sous des formes moins classiques ( par exemple: concours par équipe, compétitions avec handicap, relais, challenge individuel...). Le cours magistral doit retrouver ses lettres de noblesse, même si c'est une forme parmi d'autres, et il faut l'entourer d'un travail qui n'est pas exclusivement individuel mais dont la forme favorise la communication, la non exclusion de l'adolescent. Les exercices demandés peuvent prendre des formes très diverses. On pourrait penser à ce qu'un même exercice soit mis en forme différemment. Y a t il besoin d'une collection de 150 exercices par chapitre en seconde? Quelques exercices bien choisis, chacun prenant des formes différentes pour varier les activités, ne pourraient-ils pas voir le jour ? Alors que l'on voit s'accumuler dans les manuels des exercices différents ayant la même forme ( 1 exercice-> 1 élève), ne pourrait-on pas aussi voir émerger d'autres formes dans ces manuels telles que ( 1 exercice-> 1 groupe d'élèves homogène ou hétérogène), (différentiation des niveaux des questions à l'intérieur d'un même exercice avec un code couleur), ( plusieurs exercices -> plusieurs groupes -> 1 synthèse commune ), problèmes ouverts, réalistes et gradués en groupe ou en individuel, rédaction de cours seul ou en groupe, aide à la rédaction de fiches méthodologiques avec exemples différents suivant le niveau de l'élève, de guides de résolution plus ou moins détaillés, tout ceci afin de favoriser l'autonomie des élèves ( et non mettre en avant leur incapacité de se débrouiller seuls ou au contraire l'inutilité de faire le travail demandé ), et qu'ils les parcourent autrement un manuel que pour aller chercher l'exercice 85 p 65. Certains exercices ne peuvent-ils pas être plus adaptés au monde qui nous environne ( nouvelles technologies, climat, psychologie, médias, dernières découvertes...). Les jeunes sont aujourd'hui beaucoup plus informés qu'il y a vingt ans, même si l'école n'exploite pas cela. Je suis un peu peiné de voir que les personnes qui rédigent les problèmes dits "concrets" ou appliqués ont toujours le souci de l'intérêt mathématique avant la motivation de l'élève et que ces exos sont uniquement une caution artificielle à réinvestir le point de cours. Force est de constater qu'aujourd'hui les élèves ont besoin d'être interessés, informés et de traiter des sujets motivants lorsqu'ils sont appliqués. Je pense qu'en plus ils sont tout à fait capables ( contrairement à ce que l'on voudrait là aussi nous faire croire) de faire la distinction entre une pratique purement mathématique d'un exercice "de maths pures" et des maths appliquées. Les rédacteurs ont trouvé depuis trop longtemps maintenant, la formule d'hybridation artificielle. Délimitons clairement les frontières en la pratique des mathématiques et leur utilisation et les élèves s'y retrouveront mieux. Des exercices qui ne sont pas de simples cautions au réinvestissement d'un point mathématique donné seront certainement une grande source d'enrichissement pour tous. Distinguons clairement l'exercice mathématique de l'exercice mathématisé. Si en plus le niveau de technicité de chaque question au sein d'un exercice d'entrainement y est clairement défini, les pratiques pourront se différencier de façon naturelle. On peut imaginer qu'un même texte contienne des questions dont le degré de difficulté y est clairement annoncé et ainsi permette à l'élève de se positionner dans sa recherche, de graduer son avancée. On peut aussi imaginer que les exercices soient assortis pour certains d'entre eux d'indications différentes destinés à des élèves de niveaux différents. Ne peut-on pas passer de la présentation cumulative des contenus sous une forme unique à une multiplicité des formes possibles d'un contenu donné s'adressant à un éventail très large d'élèves? On peut par exemple penser un même exercice par groupes de niveaux, avec des groupes hétérogènes, individuel, avec recherche d'informations dans le livre ou sur le net, avec des questions ouvertes, avec des questions plus ou moins détaillées. L'espace et le temps de classe doivent devenir plus collaboratifs et interactifs. Il ne faut pas oublier que nos chers élèves de 15 ans passent aujourd'hui plus de 2 heures par soirée sur Msn, Facebook et autres blogs. Leur demande de communication s'est accrue de façon exponentielle ces dernière années! Pour les élèves, l'imaginaire de la classe relève peut être plus de l'échange que de la transmission verticale des savoirs (du moins en maths). L'introduction des Tices ne doit pas faire oublier qu'un prof qui fait un cours au tableau avec un vidéo projecteur n'est que la forme moderne d'une situation classique, qu'un élève seul devant un ordinateur est aussi la version moderne de l'élève seul devant son cahier et qu'un DM orienté Tice est toujours un DM. En fait rien ne change dans le fond, l'élève est toujours récepteur ou producteur au moment où l'injonction lui est donnée par l'enseignant: fais l'activité préparatoire pour construire ton savoir, prend le cours car c'est important, fais le DM que j'ai demandé car je sais que c'est utile pour toi, etc... Ce système aboutit à ce que l'on constate quotidiennement en Seconde: des décrochages impressionnants sans guère de récupération possible, des détresses ( dépressions parfois ) marquées pour ceux qui peinent,subissent des pressions fortes ou ne sont pas suffisamment encouragés , un manque de motivation, même chez les plus doués, le développement de stratégies d'évitement. Les élèves sont toujours renvoyés devant leur incapacité personnelle à répondre aux attentes ou ne comprennent pas trop qu'elle est leur place dans un système qui semble juste leur demander de répondre présent à certaines échéances qui se répètent invariablement de façon hiérarchisée ( faire un dm < faire une interro < faire un ds ). L'aide individualisée reste toujours individuelle et résonne plus ou moins comme une punition dans la tête de l'élève qui est convoqué de façon autoritaire et cela maintenant depuis la 6ème (PPRE - accompagnement éducatif...). Refuser ou accepter, la modification d'un contenu en mathématiques n'est aujourd'hui pas suffisant de mon point de vue , il faudrait demander aussi qu'un travail sur la forme de la transmission des notions soit réalisé compte tenu de la trop grande hétérogénéité des élèves entrant en Seconde en FRANCE et de la trop grande sélectivité de certaines voies (dont scientifiques) juste au sortir du lycée en FRANCE. Pour conclure, je pense que la composante individualiste des mathématiques ( et de l'enseignement en général dont on on s'offusque d'ailleurs lorsqu'il atteint la société toute entière) est toujours très exacerbée et qu'il faudrait plonger les élèves dans une démarche plus collaborative basée sur des échanges, au moins en début de lycée, afin de permettre à tous les nouveaux entrants de ne pas décrocher dès les (la) premières semaines de cours et de se mettre en roue libre jusqu'à la fin de l'année. Cela permettrait sans doute aussi de pouvoir différencier proprement les contenus, non pas sur les individus mais sur des groupes intermédiaires ( je ne sais pas qui pense aujourd'hui que la différentiation individuelle est possible dans un groupe de 33 élèves avec des horaires insuffisants !). L'évaluation s'en trouverait perturbée et s'effectuerait sur d'autres critères, ou le comportement en classe serait plus central, ou le seul individu serait moins discriminé et passons la main aux langues étrangères qui ont en ce moment le vent en poupe, pour sélectionner et trier l'élite européenne de demain. Une société est à l'image de son système éducatif et non le contraire comme on voudrait bien trop nous le faire croire. Ces questions d'éducation doivent être au centre des préoccupations des réformateurs qui ont une responsabilité majeure dans la diminution, la reconduction ou l'amplification des comportements sociaux, même au travers d'un simple programme de mathématiques. Le système éducatif français est très inégalitaire, il exacerbe l'individualisme et la performance individuelle (même s'il se défend du contraire !) et les mathématiques en sont encore l'archétype. Il faut impérativement attribuer une composante collective à l'activité mathématique dans le lycée de demain, ce à quoi cette discipline se prête à merveille. Les exemples historiques fourmillent à condition de bien vouloir les voir et ne pas faire ressortir la seule performance individuelle des génies dont le terrain a dans bien des cas été largement préparée par des précurseurs... L'oeuvre mathématique est collective, elle est écrite sous Licence Créative Commons depuis la naissance de l'écriture et je ne vois pas quelle idée l'école a eu de transformer la pratique de cette discipline en un thermomètre mesurant une quelconque performance individuelle se réduisant en plus à une simple mesure de la précocité intellectuelle, qui a peut-être été utile dans une société où l'on mourrait jeune et où l'on avait besoin de connaître avec précision la trajectoire des canons, mais qui trouve beaucoup moins de justifications dans notre monde actuel pour un jeune de 15 ans !
Un peu plus autour de ce point de vue ( forum de l'APMEP)