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Henry Purcell : élégance et inventivité

Publié le 20 mars 2009 par Philippe Delaide

Purcell 1 Comme promis dans la note du 14 mars, ce post regroupe trois billets rédigés sur des pièces spécifiques de Henry Purcell, dont une de votre serviteur. Je vous souhaite une bonne lecture et remercie à nouveau Ariana et Jean-Christophe pour leur précieuse contribution.

Purcell or Let me Freeze Again...
D’un Génie du Froid à Didon

Par Ariana - Le Geste et la Voix

Pourquoi ces pièces ? Parce qu’elles cristallisent ce en quoi le compositeur excelle. A savoir à une époque où, certes, l’harmonie semble contre toute attente de l’héritage musical en vogue l’emporter sur le contrepoint, Henry Purcell se démarque encore dans ses compositions par une audace et un sens de l’inventivité hors pairs. Il est au-delà des genres que, pourtant, il contribue à générer de fait. Ce pourquoi dire Purcell est aussi déjà dire en quelque sorte Britten, ce qui n’est pas là pur hasard.
La voix et l’âme.
Qui n’a jamais été saisi, frappé, happé, suspendu par l’air intelligemment et talentueusement spasmodique du Génie du Froid ou la douloureuse Renaissance dans son mouvement d’agonie de la Lamentation de Didon?

Chez Purcell, il s’agit de se laisser porter et aller jusqu’à toucher l’être d’un personnage mû par l’âme qui le caractérise. De manière absolument et résolument moderne, contemporaine même peut-être, nous avons là un traitement des personnages bien en précession sur toute une tradition lyrique à venir en ce sens, que déjà, l’alliance superbe du texte et de la musique préside à la première impulsion de composition.

Le Masque : Un Génie du Froid qui nous transit depuis une base tonale qui dissimule son flou sous une apparente limpidité afin de mieux déstabiliser l’oreille de l’auditeur. Base tonale aux (dés)accords puissamment tangents, sciemment grinçants, risoluto ostinato, préparant la survenue de l’expression intimidante de grelots de ce Gel Divin. Troublantes, douloureuses craquelures exprimées, exposées non pas tant de glace, que de piquant, expression absolue elle-même, aux portes symboliques de l’expressionnisme le plus inattendu en cette occurrence.

Ecoutez sa voix de basse, relief elle-même de cet ostinato récurrent, obsessionnel, fondement s’il en est du trouble purcellien par définition, se détacher pour mieux se renouer en le dessin sinueux d’une courbe incroyablement intuitivement sensée et sentie par le compositeur et vous serez pénétrés de ce qui fait, ce qu’est ce Froid malin sans perniciosité aucune cependant, autant qu’il se dévoile pétrifié de lui-même dans ses hachés soigneusement élaborés..


L’Âme : Des œuvres diverses quoique non si variées d’inspiration et de formes préférées, une se détache par son statut singulier, l’opéra Didon et Enée.

Voici l’exemple même de « l’opera assoluta » dans le sens où s’il est le seul opéra à proprement parler sur l’ensemble de la production d’Henry Purcell, il l’est de bout en bout et ce non seulement au vu des canons de l’époque, mais surtout bien au-delà. Dido and Aenas, c’est la première rencontre de manière que l’on pourrait dire plus ou moins directe d’une perspective strictement musicologique, du texte et de la musique ou encore de la musique et du texte. Une œuvre d’une incroyable richesse et d’une terrible efficacité alors même que nous sommes loin des romantiques et fondements post-wagnériens en la matière.

Le point d’acmé de l’œuvre est sans doute permis la célèbre, à très juste titre, Mort de Didon.
Il s’agit d’une lamentation stricto sensu, c’est-à-dire avec ses échelles descendantes de demi-tons certes, mais aussi d’un Chant Pur de Mort d’un être qui se réconcilie alors avec son âme.
Ce tour de force plus qu’inédit à cette époque (1689), inattendu, tient de la formidable intuition servie par une grande habileté de technique compositionnelle, de Purcell d’établir l’assise de l’air déclamatoire sur la non-rencontre apparente, ou alors circonstancielle, d’un ostinato aux basses et de la mélodie chantée à la voix comme « au-dessus » de sa base !

La révolution, car il faut ici oser le terme, vient de ce formidable et savant décalage d’intentionalités. Didon chante la mort de son corps voué à un destin inane, affirmant par là sa renaissance en son être pétri de (plus ?) hautes aspirations. Le jeu de l’ostinato à la voix et réciproquement ne donne rien de moins que la mouvance d’un jeu transcendantal du sujet qui l’énonce. Enfin, parce qu’il faut bien finir par dire l’essentiel, ce chant là, moins pectaculaire et pourtant si tragique, est d’une profonde, grande tout autant qu’intime, Beauté.



Fantaisie sur la fin d'un monde

Par Jean-Christophe - Passée des arts.

On a peine à croire qu’il s’agit ici de l’œuvre d’un compositeur de vingt ans. Pourtant, c’est à peu près cet âge que doit avoir Henry Purcell lorsqu’il note, à la fin du printemps et durant l’été 1680, ses Fantaisies pour les violes, préservées dans un manuscrit autographe conservé aujourd’hui au British Museum de Londres, source unique heureusement parvenue jusqu’à nous.
Si l’on se replace dans le contexte historique de leur composition, ces œuvres constituent, au sens propre du terme, une aberration. Depuis la Restauration monarchique de 1660, le paysage musical anglais connaît, en effet, des bouleversements profonds. La musique pour consort de violes, qui, durant un siècle, a connu une incroyable floraison en Angleterre et a été illustrée par les musiciens les plus célèbres, Byrd, Gibbons ou Lawes pour n’en citer que trois, s’efface assez rapidement du devant de la scène pour céder la place à ces « produits d’importation » en provenance d’Italie et de France que sont le violon et la Suite de danses. Charles II, en effet, « avait une détestation profonde pour les Fantaisies et préférait la musique sur laquelle il pouvait battre la mesure », si l’on en croit l’écrivain Roger North, et, choix du roi oblige, les suites-fantaisies du Broken Consort de Matthew Locke (c.1621-1677), composées vers 1661, seront donc le dernier recueil d’un genre où les compositeurs s’autorisaient des expérimentations sonores parfois osées, notamment dans l’usage des dissonances, même si, chez Locke, ce caractère aventureux est déjà largement tempéré par la primauté accordée au charme mélodique sur l’élaboration contrapuntique.

Viole de gambe
Avec les Fantaisies de Purcell, on bascule dans un univers radicalement différent, pour ne pas dire opposé. Tout d’abord, sur les quinze compositions que nous transmet le manuscrit, seules cinq sont dans le mode majeur, les autres se partageant entre en sol (4), ré (3), la (1), mi (1) et ut (1) mineurs, ce qui, si l’on considère ces pièces comme un tout, incline l’ensemble vers des teintes sombres, très loin de l’univers plutôt lumineux de Locke.

Ensuite, le contrepoint y est omniprésent, et il est élaboré et utilisé avec une aisance absolument confondante qui n’est pas sans évoquer parfois, comme l’ont relevé maints commentateurs, L’Art de la Fugue de Johann Sebastian Bach, écrit, rappelons-le, par un homme qui approchait de la soixantaine. Faut-il, pour autant, tenir ces Fantaisies pour de simples exercices de style ? Absolument pas, car la maîtrise de la technique y est toute entière au service d’une émotion prégnante, qui voit alterner épisodes fiévreux (Fantaisie n°4), inspiration populaire (Fantaisie n°5), mélancolie déchirante (Fantaisie n°7) et instants de douceur (Fantaisie sur une note). Soulignons enfin que l’usage que fait Purcell des dissonances, des retards, des syncopes, de l’instabilité tonale (seize tonalités différentes, par exemple, en une vingtaine de mesures seulement dans la Fantaisie n°12 !) donne un caractère souvent âpre, mais également insaisissable et diapré, à ces œuvres dont bien des audaces d’écriture feraient pâlir d’envie les plus contemporains de nos compositeurs.
Le 24 février 1683, deux ans et demi après avoir terminé la Fantaisie n°12, Purcell reprend son manuscrit et commence à noter une Fantaisie en la mineur. Il pose la plume au bout de 31 mesures ; il ne reviendra plus à ce cahier, laissant l’œuvre inachevée. A-t-il eu subitement conscience d’avoir exploité toutes les possibilités techniques et expressives offertes par la musique pour consort ? D’autres projets ont-ils alors requis son attention, le contraignant à abandonner ce travail ? Il est impossible de répondre à ces questions, mais ce qui demeure certain, c’est que l’Orpheus Britannicus ne se faisait aucune illusion sur l’accueil que recevraient ses Fantaisies, achèvement miraculeux d’un genre qui sonne également comme un congé définitif adressé au vieux et brillant monde de la Renaissance : demeurées manuscrites, elles ne furent, en effet, éditées qu’en 1927.

Purcell - Fantasias for the Violes
Henry Purcell (c.1659 ?-1695), Fantaisies pour les violes, 1680.
Extrait proposé : Fantaisie n°9 à quatre parties en la mineur (23 juin 1680)
Hespèrion XX : Sophie Watillon, hautecontre de viole. Eunice Brandao, ténor de viole. Philippe Pierlot, basse de viole. Jordi SAVALL, dessus de viole & direction.

Dialogue de la Nuit, du Mystère, du Secret et du Sommeil

Par Philippe -  Le Poisson Rêveur.

Henry Purcell m'a d'emblée touché par l'élégance et le raffinement de ses compositions. Je suis entré dans son univers via un parcours on ne peut plus classique : Didon et Enée (avec une version magnifique des Arts Florissants sous la Direction de William Christie sortie en 1986, avec Guillemette Laurens et Jill Feldman), puis The Indian Queen (version de John-Eliot Gardiner), La Musique pour les Funérailles de la Reine Mary , Le Roi Arthur, Music for a While et autres chansons interprétées par Alfred Deller, les odes de toutes sortes dont le chef d’œuvre « Hail ! Bright Cecilia » ou le splendide Tedeum & Jubilate.

Le choc a tout de même été pour son semi-opéra la Reine des Fées (the Fairy Queen), que j'ai dégusté lors de deux belles nuits d’août 1998. Sous la direction de John Eliot Gardiner, the English Baroque Soilists et le sublime Monteverdi Choir m'ont fourni cette occasion inoubliable de pénétrer l'univers poétique de Purcell. Cette adaptation du Songe d'une Nuit d'Eté de William Shakespeare déploie sur près de deux heures un univers dont la féérie envoutante vous enveloppe et vous renvoie à la sensation troublante de visiter un Paradis perdu. Cet opéra décline avec une subtilité extrême les diverses émotions les plus profondes et renvoie aux interrogations les plus universelles.

Fairy Queen
Le moment où la magie opère certainement le plus est incontestablement l’arrivée successive des quatre figures allégoriques dès le premier acte : la Nuit, le Mystère, le Secret et le Sommeil. L’introduction en fugue des violons sur l’air de la Nuit me provoque littéralement des frissons, instaurant en tension qui renvoie aux angoissantes interrogations face à l’obscurité de la nuit profonde. La voix de soprano incarnant la Nuit déploie alors son lamento, vibrant et désespéré. Le Mystère arrive ensuite, apportant paradoxalement la lumière, sur un air très bref (guère plus d’une minute), incarné quant à lui par une voix de soprano que John Eliot Gardiner a choisi plus claire et lumineuse. Le Secret apparaît aussitôt, sous la voix d’un contre-ténor, avec un chant dont les mélismes sont soutenus par un duo de flûte. Cette aria, cadencée par un rythme assez marqué à deux temps, prend l’allure d’une danse élégante et badine. Le Sommeil vient ponctuer l’apparition des figures allégoriques, avec une voix de basse feutrée et qui semble chuchoter son texte pour laisser la place au chœur dont le recueillement et la retenue sont extrêmes afin d’exprimer avec une ampleur saisissante cet assoupissement divin. Une danse des suivants de la Nuit réexpose le motif principal de l’air du Sommeil pour accompagner le jeu scénique certainement prévu et visant à représenter la disparition progressive des quatre figures allégoriques.

Enfin, la fameuse complainte de Titania « O let me weep », au début du cinquième acte n’a pas été sans me rappeler l’aria célèbre de la mort de Didon. Ces deux arias où Purcell reprend de façon revisitée le style du lamento italien qu’il maîtrisait parfaitement, résument aussi à merveille le génie de Purcell, à savoir cette capacité à représenter, avec une délicatesse extrême les différents sentiments, les humeurs variables du caractère humain.

Claude Hermann dans sa biographie récente sur Henry Purcell (éditions Actes Sud) résume à merveille à la fin de son deuxième chapitre (page 47) la plasticité unique de la musique du compositeur anglais : « … pardessus tout, celui que l’on a surnommé l’Orphée britannique sut insuffler à la musique une force vitale et une vérité affective inaltérables. Si l’on sait exprimer avec tant de justesse et aussi peu de complaisance le désarroi devant les grandes interrogations humaines, il doit être facile ensuite de restituer avec la même vérité l’allégresse la plus folle, l’insouciance la plus légère, les beautés de la nature, les mystères du sommeil, les délices et les affres de l’amour, la sensualité, les crudité de la vie, la gloire de Dieu ou l’amour de la patrie. Toutes choses que Purcell excella plus que tout autre compositeur baroque à représenter. ».

Pour tout extrait issu de cet enregistrement, je vous propose l’un des airs les plus représentatifs de cette élégance "purcellienne", le duo «If Love’s a Sweet Passion » accompagné du chœur (interprété par Jennifer Smith, soprano et Stephen Varcoe, basse).



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