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17 heures.
La porte s’ouvre.
Le cartable tout neuf s’écrase mollement contre le mur.
J’entends la toile imperméable glisser le long de la plinthe.
Puis rien.
Pas d’intrusion d’enfant dans la salle à manger en direction de la cuisine.
Pas de pillage de placards à goûter, assis par terre, porte ouverte, à même le paquet de gateaux qui sera vidé et dont l’emballage vierge restera sur
l’étagère.
Pas d’ouverture de frigo.
Pas de tintement de verre contre la bouteille.
Pas de gorgées bruyantes d’enfant assoiffé d’eau, de jeux et de disputes.
Rien.
Le silence.
Pas de hurlement maternel, j’ai pas ouvert la bouche de la journée et ma petite gueulante me manque.
Je vais vers le hall d’entrée.
Déjà, Maurice a investi le cartable échoué.
La porte est fermée.
Il a dû sortir, mais je dois l’attraper au vol, nous sommes invités à un goûter.
Je me plante sur le pas de la porte, balaye le paysage rapidement.
« Arnaud ? ».
Je ‘entends pas ses petits pas détaler dans le petit chemin.
« ARNAUD ??
-Quoi ? »
La réponse vient de l’intérieur.
« Arnaud ? »
Le reniflement provient du couloir.
« Arnaud ? »
J’entends un sanglot étouffé dans une chambre.
« Arnaud ?
-J’ai pas envie d’en parler. »
Sous le lit.
« Mais raconte-moi.
-Je te dis que c’est pas important. »
Derrière le coffre bleu qui dégueule les Legos.
« Il a dû se passer quelque chose de grave à l’école.
-Je viens de te dire que je veux pas en parler, laisse-moi. »
Contre moi.
« Tu t’es fait engueuler ? »
Non de sa tête contre mon ventre.
« Tu t’es disputé ? »
Sanglot dans ma main qui caresse sa joue, mais non de la tête.
« Cantine ? Dégueu ?
-C’est pas drôle maman. »
Petit corps qui se détend contre le mien.
« Tu sais qu’on est invités à un goûter ?
-Oui, je sais mais je peux pas y aller.
-Pourquoi ?
-Parce qu’il faut faire les devoirs d’abord.
-Oh allez, c’est le 3ème jour de la rentrée, tu dois pas avoir une thèse sur l’art indou tout de suite non ?
-Mais je t’ai dit que c’était pas drôle maman !
-Ok, bon alors c’est quoi ?
-Des révisions. »
Le souffle devient court et les sanglots redoublent.
« Mais c’est rien ça les révisions, en plus c’est cool, je vais t’aider, allez, montre-moi ton cartable, on va virer Momo qui dort dessus, on
va plier ces révisions et ensuite, on va se goinfrer au goûter.
-Mais t’as rien compris maman ! »
Et il pleure, et il se frotte les yeux, et il retient son chagrin dans sa gorge, le roule en boule dans son ventre et l’enterre au fond de son cœur, maman ne
doit pas le voir pleurer.
Je le soulève, il se fait inerte.
J’ai gagné. Il s’en remet entièrement à moi.
Je le porte sur mon dos, dans le couloir, ses baskets toutes neuves raclent les murs, il rigole.
« Tu repeins quand le couloir ? Tu pourras mettre du marron ? »
« Momo, dégage, c’est pas ton cartable !
-Oué, t’as raison, allez, vas faire tes devoirs Momo. »
Ce chat nous entend, nous voit, mais ne bouge pas.
« Attends maman. »
Il descend sa maman par la face nord et atterrit au sol.
Il soulève une bretelle de son cartable, le chat fait un double salto avant, roule et boule un mètre plus loin, sur le paillasson, et termine sa sieste comme
il vient de tomber.
« Le cartable est libéré !
-Allez, zou, les révisions ! »
Le minois s’assombrit aussi rapidement que la tempête arrive en haute montagne.
« Mais tu comprends toujours pas ! »
Je feins la surdité subite et feuillette le cahier de texte.
« Mardi 4/09 : Faire signer le mot. Conjugaison : être et avoir au présent de l’indicatif. »
« Et c’est pour ça que tu pleures ?
-Oui !
-Mais en deux minutes c’est plié ça !
-Mais oui je sais !
-Alors ?
-Alors mais tu comprends pas, à quoi ça sert de réviser ce qu’on sait déjà ? »
Cet enfant vient de me poser une colle forte.
Je cherche ma réponse imparable tout en occupant mes mains et ses pensées, je range le cahier, fouille dans son cartable, remonte ses chaussettes, sèche ses
larmes.
« Si ça s’appelle révision, ça veut dire que tu sais déjà le faire, Monsieur est certainement très content, mais veut que tu sois content de
me montrer que tu sais.
-J’ai rien compris maman, enfin, être et avoir au présent de l’indicatif si, mais ce que tu viens de dire, non.
-Je sais, Arnaud, moi non plus j’ai rien compris, alors on va s’en tenir à ce qu’on sait, à savoir, être et avoir au présent de l’indicatif.
-Mais y a savoir à savoir aussi ?
-Allez, je t’écoute, dans une minute, on sera au goûter.
-Je suis, tu es…
-Ah non, tu te trompes, que dit la consigne ?
-Être et avoir au présent de l’indicatif maman.
-Alors ? »
Il rit, il a compris, il me connait, à présent, il a envie de jouer, et de partager le soleil revenu dans sa tête.
« Je suis au présent de l’indicatif, tu es au présent de l’indicatif, il est au présent de l’indicatif, nous sommes au présent de l’indicatif,
vous êtes au présent de l’indicatif, ils sont au présent de l’indicatif.
-Bravo, t’es le roi des révisions !
-Je fais avoir maintenant ?
-Non, moi, je le fais pour toi, j’ai besoin de réviser, même si je sais, pour que tu sois content de moi mon chéri.
-Je t’écoute maman, attention à la consigne.
-J’ai envie d’aller goûter, tu as envie d’aller goûter, et si on allait goûter ? »