I.- Puisque les médias et leurs coryphées entendent “faire leurs choux gras” des propos du Pape sur le sida et le préservatif en Afrique, ne nous privons pas d’entrer en cuisine en dansant avec eux. Les choux, rappelons-le, étaient jadis un plat de pauvres. Y ajouter du gras revenait à les enrichir pour mieux en profiter. D’où l’expression. Singulière rencontre entre les médias et le gras, intermédiaires tous deux entre ce que les choses sont et ce que l’on en digère.
Les médias sont là, en principe, pour donner connaissance aux consommateurs d’information que nous sommes [le mot “citoyen”, ici, a-t-il seulement encore un sens ?] de la vérité des événements.
L’expérience montre cependant qu’ils sont devenus, dans une très large mesure, un instrument bien rôdé de subversion psychologique et politique par la manipulation des faits, “engraissés” pour être goulûment ingérés. Cette puissance les a rendus grandement courtisés. La tentation est si forte de s’en servir pour asseoir sur la conscience des citoyens pouvoirs, intérêts et convictions personnelles ! Le drame est que l’usage d’un pouvoir, quel qu’il soit, pour la poursuite d’un intérêt particulier est identifié, depuis l’Antiquité par ce nom inquiétant : la tyrannie.
II.- Il n’est pas douteux que cette tyrannie médiatique existe, et depuis belle lurette. Il n’y a pas si longtemps encore, elle servait essentiellement à faire baisser pavillon à tout ce qui résistait à l’influence marxiste dans le monde, et qui était présenté comme “fasciste”, “impérialiste”, “réactionnaire”. Ces mots ont imbibé les discours politiques, pour favoriser l’indulgence et l’aveuglement sur les crimes du communisme.
A la suite de l’effondrement de ce dernier, la crétinerie volontariste des bien-pensants s’est trouvée soudain orpheline. A surgi alors, fort à propos pour les sauver du désespoir, une idéologie nouvelle, le “politiquement correct”, venue cette fois des Etats-Unis, encore que l’expression, ironie des choses ou trait révélateur, fût issu du vocabulaire marxiste. Au début, cela fit beaucoup rire, tellement c’était bête. Car à ce mode de pensée, conformiste à outrance, correspondait un vocabulaire qui n’était pas moins caricatural et ridicule que celui de la “langue de bois” ou de la “novlangue” chère aux communistes. Le regretté Vladimir Volkoff en a fait une plaisante caricature que l’on prendra plaisir à lire ou à relire [Manuel du politiquement correct, Ed. du Rocher, 2001]. Une multitude d’ouvrages en ont été écrits, comme le Parlez-vous le politiquement correct ? [Ed. Racines Eds, 2007], de G. Lebouc, qui manifeste, si besoin, qu’il s’agit d’un langage.
Pourtant, la novlangue “politiquement correcte” s’est coulée avec une déconcertante facilitée dans notre “culture”, et l’on n’y trouve plus seulement matière à sourire. C’est tout naturellement qu’un noir est devenu un “homme de couleur”, l’aveugle un “non-voyant”, le cancre un “élève en difficulté”, le chômeur un “demandeur d’emploi”, le délinquant des banlieues un “jeune”, la femme de ménage une “technicienne des sols”, les vieux des “seniors” ou l’immigré clandestin, pour ne citer que ces cas, un “sans-papiers”.
Le langage ecclésiastique progressiste avait anticipé de très longue date ces progrès sémantiques et idéologiques et se sent toujours très à l’aise dans leurs évolutions. Il faut ici rappeler, une fois de plus, l’indispensable petit Lexicon de l’Eglise nouvelle, plein d’humour, du savant africaniste qu’était le Père Maurice Lelong, o.p. [publié en 1971 par Robert Morel], qui en décrivait déjà les crispants délices, il y a plus de trente ans.
III.- La tyrannie médiatique a mué mais elle s’exerce toujours, par la manipulation du langage, des faits, des discours, par la dévitalisation des concepts et des mots. Elle n’a fait que changer d’idéologie, mais toujours dans le sens constant de la révolution contre la nature et la vérité des choses. Le credo moderne est celui de la liberté sans bornes. Non pas tant la liberté de pensée ou de l’esprit, pour laquelle tant de gens se sont battus, que la liberté de vivre et de jouir sans entraves morales. La tyrannie médiatique est au service de l’ultime révolution : celle qui autoriserait l’homme à se libérer de sa propre nature, à disposer de sa vie et de sa mort, et de sa propre définition même, pour culbuter définitivement Dieu hors de sa création et l’investir enfin tout entière. Etre désormais dieu, après tant d’impatiente attente (Genèse, 3,5)… La novlangue sert à ôter du langage commun tout ce qui peut apparaître discriminant, jusqu’aux frontières du bien et du mal, dont la maîtrise a été promise au nouveau dieu (loc. cit.). Celles-ci doivent désormais être fixées par les seules déterminations facultatives de la conscience individuelle. Peu à peu s’impose ainsi un terrorisme de l’amoralité qui marginalise les tenants de “l’ancien monde” aux psychologies structurées sur le vrai et le faux, le juste et l’injuste, le permis et le défendu, le moral et l’immoral, le naturel et le contre-nature. Peu à peu s’instaure une morale collective, pour ne pas dire collectiviste, de l’indétermination morale. Sa règle est une éthique sociale positiviste dictée par les seuls impératifs de la non-discrimination, et elle ne mémorise les exigences de la moralité que pour frapper les désormais “mal-pensants”.
C’est là que se rencontrent le Pape et le monde, le message du Christ et les revendications libertaires de Satan. Pourquoi avoir peur des mots ? Nous savons bien, nous, chrétiens, que le drame de l’histoire humaine est dans cette confrontation, même si tant de pseudos-pasteurs ont cherché à nous convaincre, depuis des décennies, que le Diable n’était qu’illusion de psychologies inverties, terrorisées par l’emprise totalitaire du cléricalisme passé. Cette confrontation a ses acteurs majeurs, comme il est apparu dans la tentation au désert (Mathieu, 4, 1-11), laquelle synthétise toutes les formes de tentations, y compris celle du pouvoir. Cette confrontation a aussi ses complices, ses déserteurs, ses lâches et ses valets. Et ses héros aussi, et ses anges protecteurs.
IV.- On ne peut pas comprendre le fond de cette haine qui s’est dressée contre le Pape Benoît XVI si l’on n’intègre pas dans notre actualité, qui n’est qu’un point de l’histoire, une histoire qui marche nécessairement à son terme, cette dimension eschatologique et cette ombre de l’Ennemi de tout bien, « menteur et homicide dès le commencement ». Le Pape, dont tous ceux qui ont eu le privilège de l’approcher louent la bonté et l’humilité, a parlé aux Africains un langage de respect, de vérité et de charité, pour ne pas dire de bon sens. D’où vient cette obstination à lui faire dire ce qu’il ne dit pas, à s’aveugler sur ce qu’il a dit, à maquiller inexcusablement ses propos pour le flétrir ? Et d’où vient ce conformisme content de soi, cette satisfaction de gros animal vautré dans ce monde, et ce besoin d’intervenir qui portent des gens comme Mme Bachelot ou M. Juppé à se fendre de leurs déclarations publiques, avec l’arrogance aveugle sur soi-même qui leur est coutumière, pour proclamer que « ce pape commence à poser un vrai problème », et qu’il vit « dans une situation d'autisme total » (dires de M. Juppé) ?
Qu’un politicien parle d’autisme, dans la situation où lui et ses semblables ont conduit notre société désormais explosée, pour donner des leçons à autrui, et qu’un catholique comme M. Juppé qui ne fait pas mystère de n’être rien de plus qu’un médiocre en ce domaine se pique de faire la morale au Pape, voilà qui ne manque pas de culot. Mais ce qui est beaucoup plus révélateur qu’il ne peut paraître au premier abord, c’est que l’annonce de l’Evangile et de son message puisse être ainsi présentée ainsi comme une maladie, un handicap. C’est le mécanisme que nous avons décrit plus haut qui se met en place. Mais c’est aussi la signature de l’être malfaisant que nous évoquions aussi.
Dans le conflit qui l’oppose aux Pharisiens, après l’épisode de la lapidation manquée de la femme adultère, le Christ, s’adressant à eux comme à ceux « d’en-bas », leur enseigne que le péché en lequel ils baignent est ennemi de la liberté et que seule la vérité est susceptible de les délivrer de l’emprise de son esclavage. Jésus dévoile leurs intentions homicides sur lui, et leur déclare que s’ils ne peuvent pas reconnaître son langage en ce qu’il dit, c’est qu’ils n’entendent pas sa parole. Et il ajoute ces mots extrêmement forts : « Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les désirs de votre père que vous voulez accomplir. Il était homicide dès le commencement et n'était pas établi dans la vérité, parce qu'il n'y a pas de vérité en lui : quand il profère le mensonge, il parle de son propre fonds, parce qu'il est menteur et père du mensonge. (…) J’honore mon Père et vous cherchez à me déshonorer ». On sait comment se termine cet épisode, où la miséricorde proposée se heurte à l’orgueil et à la volonté de ne rien entendre. « Ils ramassèrent alors des pierres pour les lui jeter ».
La lecture de ce passage de l’Evangile de saint Jean (8, 1-59) est fort éclairante en la présente circonstance et jette une lumière vraiment très crue sur les acteurs des présentes tempêtes médiatiques. Courage, très Saint-Père, notre affection et notre prière filiale vous accompagnent sur cette route difficile.