Habille-toi de moi.
Eléonore repensa à cette chanson de Corcoran, il fredonnait à un moment donné cette phrase qu'elle avait toujours trouvée magnifique. Il y a des mots alignés, comme cela, qu'on dirait qu'ils transcendent chaque mot, et que la phrase va au-delà du sens de chaque élément. Harmonie parfaite, forme et fond unis. Lui en plus disait cela avec une voix bourrue et un accent à malaxer les mots en leur donnant une saveur encore plus particulière. El se contenta, surprise elle-même, de murmurer ces quelques mots à Pat.
Elle avait conscience que ce n'était pas le moment, il était les yeux encore collés de la nuit et prenait son petit-déjeuner. Mais ça lui était venu comme ça. Des dizaines et des dizaines de fois, ils s'étaient vautrés contre ses dents, mais là, profitant d'un trou d'air, ils étaient sortis, partis à l'aventure, modifiant l'instant comme seuls des mots peuvent le faire parfois.
Habille toi de moi, avait-elle dit. C'était à peine audible, et c'était susurré avec un point d'interrogation. Mais l'indicible est ainsi fait. Pat avait entendu quelque chose. Cela tenait du miracle de l'instant.
Elle hésitait et c'était sûrement pour cela qu'au-delà de l'artiste, elle avait ponctué autrement cette phrase. Entre s'habiller de lui ou vouloir qu'il s'habille d'elle, son coeur vibrait. Elle haussa les épaules. N'affichant que chair de poule.
Frisson d'avril, aurait expliqué Le Forestier. Elle sourit. C'était bal des chanteurs, ce matin, dans sa tête. Tous ces mots d'eux, comme des ailes, qui voletaient dans son intime. Les mots des autres, les mots des siens, ses siens de mots devenus.
Elle se râcla légèrement la gorge. Ce fut élégant. Digne. Pas de ces râclements du matin que certains s'autorisent au motif qu'ils sont chez eux. Suffisamment toutefois pour qu'il pose son journal. La magie durait. C'était rare. Elle décida de positiver. Elle le rêvait attentionné, il était attentif, c'était déjà ça. Attention fragile, cependant. Elle se sentait bien avec Souchon et Lavilliers venus à la rescousse.
Habille toi de moi...
Elle aurait été devant une vitre, une légère buée se serait affalée sur le carreau. Elle était face à la fenêtre et une légère enveloppe s'imprima sur le verre. Elle n'ose pas reprendre tout de suite, épaules voutées, comme si elle avait besoin de tout cet air, de tous ces airs qui soufflaient en elle. Jette du riz, murmurait Bashung, implorant au passage donnez moi des nouvelles données. Encore un petit café ? Osait Thiéfaine. Ca c'est vraiment toi souriait Jean-Louis Aubert .
Tu as dis quoi ? demanda Patrick. Elle sursauta, comme tirée de son paradis blanc.
Elle vaguait de l'âme, les phrases valsaient, tournoyaient, papillonnaient. France Gall lui disait de résister et d'être libre dans sa tête, pendant que Véronique Sanson lui clamait l'air de rien c'est long c'est court. Souchon opinait du chef en souriant que rien ne vaut la vie. Je voudrais que tu t'habilles de moi, elle pensait, en se demandant en même temps, où est-ce que j'ai mis mon flingue ?
Bon, repris Patrick, tu accouches ou quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Lui aussi semblait empourpré, entre militaire et fantaisie. Pêche et citron.
A quoi tu penses ? il reprit et elle sourit car ce n'était pas Goldman qui avait posé ces mots, osant un à quoi tu sers, mais bel et bien lui. Elle songea à Chichin et Ringer, aux Histoire d'A. Lavilliers velourait dans ses oreilles qu'il ne fallait pas pleurer, Cabrel entérinant le tout d'un air docte, avec de l'encre dans les yeux.
Elle regarda la buée, pris de l'inspiration, et se lança. Se sentit bien, après.
Je disais : Je voudrais que tu t'habilles de moi. Mais je me demandais si je ne préférerais pas, en fait, que ce soit moi qui m'habille de toi.
Patrick pensa : mais qu'est-ce qu'elle me chante.
Il dit : L'important, c'est d'être enveloppé. Mais pas trop, comme dirait Obélix.
Elle sourit d'un air triste et encourageant à la fois. Il était bande dessinée, c'est vrai. Chacun sa chanson. Elle sourit cette fois d'un air souriant. Puis à nouveau mélancolique. Elle le trouvait touchant, rêvait d'être touchée. Il repris la parole.N'empêche, c'est vachement beau comme expression, ça. C'est de qui ?
Elle réfléchit quelques secondes.
C'est de moi ! Mais c'est un autre qui a trouvé la bonne formule.