(Cape Tribulation, Queensland, Australie, le 14 août 07)
J’ai vécu les six premiers jours du voyage sans bagages. Les deux sacs perdus quelque part au-dessus de la Terre. Et chaque demi-journée qui passait sans nouvelle de British Airways ou de Qantas me rapprochait d’une résolution : je ne les retrouverais pas. La garantie retard de bagages était limitée : je n’avais que quarante-huit heures pour m’approvisionner en nouveaux vêtements et accessoires de toilette si je voulais être remboursé. Une clause tardivement portée à ma connaissance : au soir du deuxième jour, moins d’une heure avant la fermeture des magasins. Je me suis précipité dans la première boutique, tenue par d’affables Chinois. Le choix était mince, c’était un magasin de souvenirs, j’ai dû me contenter du strict minimum.
Vivre six jours dans un pays inconnu avec presque rien sur soi est une expérience ô combien enrichissante. Il faut combattre sans tarder un sentiment très fort de vulnérabilité. Et puisque l’on n’a rien à soi pour se protéger, il ne reste plus qu’à se livrer davantage au dehors. Bénissons le dehors. La privation du sac de voyage ayant volé les repères domestiques, elle a finalement précipité mon intégration au pays. L’émerveillement n’a d’ailleurs pas tardé à faire carapace. Les oiseaux, les crocodiles, les kangourous en enfilade ont tissé des joies serrées, durcies encore par le soleil. La Nature s’est imposée comme notre seul et unique refuge. Délesté de 20 kilos d’affaires et de matériel, je me sentais me mouvoir plus librement en elle.
J’ai été heureux de retrouver les bagages, au matin du sixième jour. Mais je m’étais déjà habitué à mon sachet plastique made in China et j’aimais ces lessives quotidiennes qui rythmaient nos arrivées au bivouac, chaque soir à un endroit différent. Et puis j’avais réappris à rire de moi-même. J’avais vécu six jours durant avec deux T-shirts, un sweat-shirt, un pantalon, deux shortys dont un faisant office de maillot de bain, deux paires de chaussettes et mes sacro-saintes chaussures de marche. Le pull était d’un rouge infâme, coupé dans un tissu rêche et nauséabond. Un tee-shirt rétrécit de quatre tailles dès la première lessive. L’autre passa du gris perle au rose vomi sous l’effet du soleil et je m’aperçus un peu plus tard que le short de bain était un modèle pour femme…
(Sinon, 14 % de retard de bagages cet été : British Airways sucks, ça commence à se savoir).