Exposer le vide, proposer aux milliers de visiteurs du Musée national d'Art moderne des salles totalement nues, tenter la représentation du rien, de la « tabula rasa », tel est le défi culotté assumé par le Centre Pompidou. Catalogue à l'appui.
Sous la responsabilité d'un collège de commissaires composé de curateurs et d'artistes (dont John Armleder, Mai-Thu Perret et Gustav Metzger), les salles clôturant le parcours du niveau 4 du MNAM, consacré à l'art contemporain, sont pour un mois « sans œuvres », blanches, immaculées. Vides.
Circulez, y a rien à voir
La visite de l'exposition dure quinze minutes chrono, et il ne faut pas s'attendre à une quelconque surprise. Mais, pour reprendre le titre de l'essai de Laurent Le Bon, conservateur au MNAM, inclus dans le catalogue : qui ne risque rien n'a rien... Car après avoir parcouru le long corridor où viennent d'être réaccrochées les œuvres des collections contemporaines du musée, on expérimente, dans un lieu qui est par définition celui de la monstration, un vide où advient la conscience de son propre corps dans un espace qui n'est pas neutre. On y perçoit la réalité d'un contenant, le musée, et, grâce à ses murs-fenêtres, d'une ville, tous deux fortement marqués historiquement et culturellement.
Comme l'indique son titre, il ne s'agit cependant pas ici de l'exposition du vide, mais d'une rétrospective de différents « vides », auxquels chacun des dix artistes réunis a abouti au terme d'une démarche propre, chacune plus ou moins liée à l'art conceptuel et à une critique du système d'exposition classique. Chaque salle abrite donc la même « œuvre », mais le processus qui y a mené, explicité dans un dépliant donné au visiteur, diffère.
De l'immatériel à la disparition
Au commencement était le vide d'Yves Klein, qui, à la suite de ses œuvres immatérielles, propose la première exposition du vide à la galerie Iris Clert, en 1958. L'idée d'exposer le vide sera reprise et théorisée par les artistes conceptuels. Pour le collectif Art & Language, l'œuvre n'a pas besoin d'être matérialisée, la penser suffit : « The Air-Conditioning Show », en 1966, est une exposition de l'espace lui-même, en particulier de l'air conditionné d'une galerie new-yorkaise. Une autre démarche intéressante est celle de Robert Irwin, qui réfute l'existence du vide : pour « Experimental Situation », en 1970, à Los Angeles, l'artiste laisse la galerie vide, mais s'y rend de temps à autre pour y réfléchir à ce qu'il pourrait y présenter...
Les démarches les plus extrêmes sont bien sûr les plus passionnantes. Michael Asher, en 1974, laisse la galerie Anne Leonowens de Halifax vide pendant trois jours. Refusant que ces expériences uniques soient reconduites, l'artiste n'a pas souhaité apparaître dans l'exposition du Centre Pompidou, mais seulement dans le catalogue. Laurie Parsons, en 1990, décide de ne rien présenter à la galerie Lorence-Monk de New York, puis retire la mention de cette exposition de sa biographie, avant de se retirer du monde de l'art en 1994, effectuant ainsi une suite de gestes parfaitement cohérents. Roman Ondák, en 2006, réalise à la galerie gb agency une installation, More Silent Than Ever, où il est dit que l'espace vide est placé sur écoute. Vrai ou faux ? L'artiste réactive le topique selon lequel l'art est un simulacre.
Le catalogue fait le plein
Si la visite de l'exposition laisse forcément sur sa faim (malgré les renforts pédagogiques), c'est dans son magnifique catalogue à couverture en demi-teinte que l'on fera le plein d'informations (pour un très bon rapport qualité/volume/prix). Après une série de documents consacrés à chaque artiste, une anthologie réunit les textes des commissaires et un grand nombre d'études qui précèdent ou prolongent les réflexions sur le vide — le vide dans le bouddhisme, chez Malevitch ou Mallarmé, la physique du néant, le Plein d'Arman en réponse au Vide de Klein, l'infra-mince duchampien, etc. —, avant de se clore sur des interventions d'artistes contemporains. Un catalogue en forme d'antithèse à l'exposition.
Vides. Une rétrospective, au Centre Pompidou, Paris, jusqu'au 23 mars 2009. Puis à la Kunsthalle de Berne, du 10 septembre au 11 octobre 2009.
Catalogue co-édité par les éditions JRP|Ringier, Zurich, les Editions du Centre Pompidou, Paris, avec la Kunsthalle de Berne et le Centre Pompidou-Metz, 540 pages, 39 euros.
sources: Fluctuat.net
posté par: FLoriane Pic
Posté sur : création, le blog de la création.