C’est un peu comme un tirage au sort. Un vrai plaisir gourmand. « Pourquoi patate et pas pomme de terre ? D’abord parce que « patate », cela sort tout seul de la bouche et qu’on a l’impression d’en manger déjà. » affirme Christian Millau dans son « Dictionnaire amoureux de la Gastronomie ». Moins adepte du marché que son confrère en gastronomie Jean-Pierre Coffe, puisque aucun article du dictionnaire n’est consacré à ces places somptuaires, il n’en reste pas moins qu’il avoue qu’on peut être amoureux d’une patate. Là encore je suis d’accord.
Alors ce marché à Eisenstadt un douze avril ? Une belle botte de radis, venue d’un jardin situé pas très loin, dans la merveilleuse campagne du Burgerland, dans ce territoire un peu entre deux où l’Autriche Hongrie se retrouve aujourd’hui, en regard des collines couvertes de vignes, un peu comme en Alsace, mais devant la puszta hongroise qui commence de l’autre côté du lac. J’aime à apercevoir un certain bonheur sur le visage de cette dame qui prend en main les radis, et le plaisir de cette autre, à l’arrière plan qui semble jongler avec des tomates, avant de les faire tomber dans son sac. Une jolie petite ville, une ville où Haydn a tenté d’être heureux et où, en tout cas, il nous a rendu heureux en composant…Sankt Marton, notre bienheureux évêque de Tours, saint Martin, veille sur nous dans sa terre natale. Les marchands sont peut être hongrois justement ? Et alors ? Comme des Français venus travailler au Luxembourg ! J’aime tant ces jeux de frontières.
Eh oui, j’y retourne toujours. Encore l’Italie. Ce gentil couple enfermé dans son camion boutique dialogue avec un client. L’homme a le chapeau vissé sur la tête. Nous sommes en mars. Il fait encore un peu froid. La femme pèse les tranches de salami, tandis que les pecorinos jeunes et stagione s’empilent derrière eux. Pecorino ombro avoue l’enseigne. Nous sommes à Gubbio, en Ombrie. Par-là, les truffes sont blanches. De là m’est arrivé un magnifique panier à Noël. Il ne me reste plus que les pois chiches. Mais j’en fais gonfler régulièrement. Je les mets à cuire ensuite longuement, puis je les passe à l’huile d’olive chaude. J’y ajoute une tranche épaisse de Coppa. Un délice ! Bref, j’ai encore des mois de réserve avant d’y retourner, dès que mes amis de la Route de la Paix auront repris leur esprit après les élections de la Communauté de montagne.
Là, dans les suivantes, je triche un peu. Mais après tout, un marché peut aussi être consacré aux antiquités, mélangeant le vrai et le faux, le kitch et le précieux, la larme aux yeux et le fou rire. Marie m’a entraîné par deux fois dans son quartier. Là où chaque dimanche matin au marché du Rasto, toute la ville se presse. Et pas seulement les touristes de passage. Des centaines de milliers de badauds ! Devant eux, entre eux, à leurs pieds, des jouets pour les grands et les petits. Des statues pour dessus de bars, des fresques pour annonces publicitaires, des cavalcades miniatures pour champs de courses, des armes pour la parade, des Don Quichotte de Bazar, des angelots éparpillés devant une Vierge un peu écaillée, des radios de toutes les époques…et un peu plus loin, des adultes qui cornaquent des enfants dans une sorte de bourse en plein air où s’échangent les images de footballeurs ! Et tout soudain la merveille des merveilles. Une boutique pleine de tissus et de vêtements. Des trésors venus de tous les siècles, du monde du théâtre, comme du monde tout court. J’ai cru comprendre que la collection sortait des armoires de Xavier Barral i Altet…Historien, historien de l’art dont j’ai déjà regardé les ouvrages. Ce n’est pourtant une exception que par la qualité des pièces présentées. Les tissus quotidiens, comme toujours, sont présents partout, colmatant tous les interstices de notre vie. Mais ici, par hasard, on passe dans le grand monde. Vive Madrid. Je sais déjà que j’y reviendrai dans un mois. Même si c’est pour y travailler…je prendrai le temps.
Et allez, une dernière ! Juste en introduction pour demain.
Un bateau est amarré le long d’un quai. J’ai une envie d’artichauts et de bettes. Les personnages de Thomas Mann ne sont pas loin. En remontant la Via Garibaldi, en longeant l’Arsenal, pour atteindre le Rio di Santa Anna. Pas loin de la Biennale d’Art Moderne.
Venise en décembre…
Les photographies sont dans le désordre mais qu’importe !