Le problème, lorsque l'on justifie une position morale par des principes, c'est que l'on manque souvent l'argument d'ordre pratique, qui permettrait de faire la décision.
Par exemple, les opposants à la peine de mort, dans les pays où elle a été abolie ou dans ceux dans lesquels existe un débat contradictoire à ce sujet (États-Unis entre autres), font rarement valoir en premier lieu que le meilleur argument justifiant l'abolition de la peine capitale, c'est le risque d'erreur judiciaire. Difficile de rouvrir le procès une fois que le condamné a été exécuté ! C'est un argument décisif, mais comme il ne tend pas à remettre en cause le principe même de la condamnation à mort (dans l'hypothèse où l'on pourrait avoir la certitude de la culpabilité), il est trop tiède pour que les opposants à la peine capitale s'en servent dans leur combat.
Je me suis fait la même réflexion avec les propos de Benoît XVI sur le sida, le pape ayant déclaré qu'« on ne peut pas surmonter ce drame avec la distribution de préservatifs, qui au contraire augmentent le problème. » Là où les anticléricaux fanatiques voient dans ce type de déclaration, que Jean-Paul II avait également tenu, une condamnation de la contraception, et donc une « responsabilité » dans l'épidémie de sida en Afrique, l'honnête homme, catholique ou non, y voit un rappel de la position de l'Église en matière de fidélité sexuelle.
Le Saint-Siège est bien sûr dans son rôle en rappelant cette position morale, exigeante mais cohérente : si la fidélité maritale régnait, l'expansion du sida se limiterait aux échanges de seringues et aux transfusions de sang. On peut trouver cette position irréaliste, mais elle a le mérite de concorder avec une vision saine de la famille. Irréaliste ? Pas davantage, en tout cas, que celle qui consiste à voir dans le préservatif le remède à la diffusion du VIH. Un prêtre ayant fait vœu de chasteté n'a pas à entrer dans des considérations pratiques, mais le risque de rupture du préservatif constitue précisément l'argument décisif contre l'idée d'un préservatif miraculeux. C'est d'ailleurs ce même risque qui est invoqué par des jeunes femmes, souvent des adolescentes, pour prendre la pilule plutôt qu'utiliser le préservatif. Elles évoquent souvent la peur de tomber enceinte qu'elles ont éprouvée lorsque le préservatif que leur partenaire utilisait a rompu. Et cela arrive assez fréquemment.
Puisque le risque de contamination existe même avec l'utilisation du préservatif, il me semble qu'il devrait y avoir en la matière un principe de précaution.
La position défendue par le Vatican n'est pas de mise à régler l'expansion du sida en Afrique, d'autant que, comme en Amérique latine, ses bastions y sont menacés par les églises évangéliques et l'islam, mais au contraire de la promotion du préservatif, elle est cohérente d'un point de vue logique.
Reste, et c'est là encore le problème d'une institution bimillénaire, peu rompue aux exigences de la communication contemporaine, que dans le débat médiatique, il faut user de toutes les armes rhétoriques, même celles qui tendent à aller à l'encontre de ses principes. Les opposants à la peine de mort ne renonceraient en rien à leur combat à rappeler en premier lieu le risque d'exécuter un innocent, tout comme le Souverain pontife ne renierait rien de sa vision de la famille en prouvant le danger avéré du préservatif. En attendant, puisqu'aucun vaccin n'a été trouvé et que les trithérapies sont coûteuses et contraignantes, le préservatif reste un précaire filet de protection.
C'est précisément en ces termes que Benoît XVI l'a présenté. Dès lors, on comprend mal la controverse que sa déclaration a provoquée, à part, si on la rattache aux deux polémiques plus récentes, une volonté de caricaturer toutes les positions de l'Église pour la réduire au silence. Je ne suis pas catholique, mais plus l'on s'obstine à vouloir détruire l'un des fondements de la civilisation occidentale, et plus je m'en sens solidaire.
Roman Bernard
Criticus est membre du Réseau LHC.