Pourquoi Médiaş en Roumanie ? D’abord parce que j’ai commencé à passer en revue les marchés que j’ai photographiés et appréciés et que j’ai été arrêté dans ma course par une série de fruits et de légumes qui me semblaient présenter des caractéristiques de plaisir. Peut-on dire en fait qu’un légume ou un fruit génèrent du plaisir avant qu’on ne les croque ou qu’on ne les cuisine ? Ma réponse est oui. En tout cas, c’est pourquoi je me suis ce soir assis longuement à côté des pastèques !
D’abord Médiaş. Comme je suppose que peu de lecteurs auront traversé cette ville, il faut tout de même la situer. Ville en effet.50.000 habitants ce n’est pas rien au sein de cette Transylvanie où les villages saxons sont nombreux et les communautés saxonnes très réduites. Des villages, des vrais, avec la boue quand il pleut, la poussière quand il fait sec et une nature cultivée pendant des siècles par les Saxons industrieux.
Des villages dont les images des églises fortifiées ont fait maintenant le tour du monde entier, ou peu s’en faut ! Des villages où ceux – je parle des citadins occidentaux -qui savent encore qu’on peut trouver ici le calme d’il y a cent ou deux cents ans, viennent se réfugier pour parler de leur enfance, ou de celle de leurs ancêtres, ceux qui leur en ont dressé le portrait dans leur langue saxonne ou anglo-saxonne. Et même si leur enfance était plutôt protégée dans une nature bien peignée par des théories de jardiniers – je pense au Prince Charles – on peut imaginer qu’ils pensent être revenus là au Paradis de leurs rêves.
Médiaş, en effet. Dans la seconde moitié du XIIIe siècle les Saxons arrivent à Mediesy. Quelques années plus tard, il s’agit d’un centre commercial où les paysans d’alentours peuvent converger pour échanger, et bientôt d’un centre où les métiers de l’artisanat se diversifient.
Une telle histoire pourrait être racontée pour des dizaines de milliers de bourgs commerciaux en Europe. Alors pourquoi celui-là ? Sans doute parce qu’il s’agit d’une migration. Ces Saxons là venaient de plusieurs milliers de kilomètres. Des Mosellans…Une frontière, un Far-East de l’époque. Et leurs modes de vie, ceux qu’ils ont apportés avec eux, puis adaptés à côté des autres communautés avec lesquelles ils ont cohabité, sont visibles encore aujourd’hui. Prêts souvent de disparaître, surtout dans les villages qui ont été désertés au cours d’une histoire encore récente où les habitants ont dû partir, où ils ont parfois été vendus pour pouvoir s’échapper de l’oppression et parfois d’un opprobre qui datait des souvenirs des alliances de la Seconde Guerre Mondiale.
Et pourtant les maisons sont là. Les églises évangéliques aussi, témoignant de la résistance des Luthériens à la Contre-réforme pourtant dominante dans l’Empire Austro-hongrois. A vrai dire tout est là, sans le nombre des héritiers qu’il faudrait : les cimetières avec leurs noms et les structures communautaires qui permettaient de protéger leurs victuailles en commun, pour ne pas dire leur vie. Rempart vivant contre les Tatars, puis les Turcs. Ils parlaient le francique. Ils le parlent toujours, enfin ceux qui restent, mais ce sont d’abord des germanophones dans un pays de langue romane où la langue hongroise n’est pas loin ! Situation étrange qui nous fait souvenir que sans le rappel de l’histoire, nous ne comprenons rien.
Je ne parle pas des controverses sur les réalités historiques. Il y en a, c’est normal. Comment pourrais-je prendre partie ?
Des alignements de maisons ou de fermes – façades comme en Lorraine, au Luxembourg, en Sarre…Et quelques points forts, les grands îlots fortifiés, les Siebenbürger, complémentaires des Kirchenbürger : Bistriţa (Bistriz), Sibiu (Hermannstadt), Cluj-Napoca (Klausenburg), Braşov (Kronstadt), Mediaş (Mediasch), Sebeş (Mühlbach) et Sighişoara (Schässburg).
Des témoignages, des inscriptions sur les monuments de la ville parlent de noms qui nous restent largement inconnus : Stephan Ludwig Roth, pasteur exécuté par les radicaux hongrois au milieu du XIXe siècle et Hermann Oberth, le véritable père des V2, dont il transmettra l’idée à Von Braun…qui lui-même sera pressuré par les Américains partis à la conquête de la lune. Oberth que l’on prétend admirateur de Jules Verne qui avait lui-même écrit “Le Château des Carpathes”…sans connaître directement aucun des endroits qu’il évoque dans une sombre histoire de rivalité masculine et de prémices de la télévision.
Mais le marché ? Justement, ce marché ni banal, ni grandiose, m’attache parce que ses paysannes assises entre des piles de pastèques et de melons jaunes, dans l’odeur entêtante de bouquets de sauges ou d’Ombellifères qui se fanent, au milieu des liens d’oignons frais, des écroulements de poivrons et de gros cornichons et ces hommes aux torses nus, presque aussi bronzés que les pulpeuses aubergines qu’ils couvent du regard, témoignent d’une certaine éternité et surtout d’une patience qui se prolonge, au sein d’une société qui vient de rentrer dans les normes européennes.
On venait également ici se faire confectionner un costume. Pour les grandes occasions. Il en reste une sorte d’obsolescence de mannequins accrochés à des maisons aux énormes volets de bois peint, un peu branlantes, dans l’attente d’une réparation qui ne viendra sans doute pas et de clients qui iront sans doute à Bucarest trouver la mode mondialisée.
Il fait bon boire un jus d’orange. Je l’ai dit, les routes sont poudreuses, sinueuses, pleines d’ornières, lentes comme nous ne savons même plus la lenteur exister à ce point, quand on a choisi la voiture comme moyen de parcours.
Mais il faudrait y revenir à cheval ou à bicyclette.
C’était en juillet 2006. C’était hier. Comme le miel du bonheur qui revient sur les lèvres !