Episode 5 : Où l'Abominable Gudule fait très fort dans le genre chiantissime nullissime et où le Penseur Masqué prend une décision relativement sage.
Dans la grotte pluri centenaire du Masque de fer, l'atmosphère était à l'orage. Gudule avait réussi, par on ne sait quel tour de magie à la noix, à forcer les barrages, barrières, protections, barricades etc. dressés par le Penseur Masqué afin de protéger son home, sweet home. Et elle s'était ruée, toujours accompagnée du silencieux et inutile Servile Séide dans la cuisine où notre héros, on s'en souvient, dégustait tranquillement une bière. Il s'ensuivit une course homérique dans ladite cuisine, l'une courant après l'autre et l'autre essayant d'échapper à l'une, le tout dans un vacarme d'enfer. Le Servile Séide avait trouvé plus prudent de se glisser sous la commode, et, bien à l'abri, regardait l'étonnant ballet de jambes et de pieds qui se déroulait sous ses yeux.
A bout de ressources, ayant épuisé toute sa panoplie d'insultes malsonnantes, le Masque de Fer empoigna la cruche posée sur la table et en envoya le contenu à la face de Gudule ; ruisselante, la sorcière changea immédiatement de direction et fonça dans la salle de bain. Hélas pour elle, cela faisait un bon moment que le dispositif (relativement peu moderne) destiné à se laver ne fonctionnait plus. Le Masque à penser prenait chaque matin un bain dans la mer et avait donc jugé inutile de remettre en état tout ce fatras de tuyaux et de robinets. Les plombs avaient sauté depuis une cinquantaine d'années et l'insouciant locataire de la grotte n'avait pas eu l'idée de les remplacer parce qu'il ne mettait plus les pieds à cet endroit. Sans électricité, à la seule lueur tremblotante de la bougie, comment Gudule pouvait-elle essayer de réparer des ans l'irréparable outrage ? Son caractère primesautier reprit le dessus : elle commença par terminer l'ouvrage des multiples années écoulées en massacrant tout ce qui pouvait encore servir dans la salle de bain. Puis elle revint dans la cuisine, le verbe haut et le geste large. Le Masque de fer était furieux et ne se priva pas de le faire savoir. « Espèce de moule à gaufres, tête d'enflure, cria-t-il, tu n'es donc revenue que pour détruire tout mon patrimoine ? » « Epouse-moi, et je me tiendrai tranquille », rétorqua Gudule. « Alors là, tu peux courir vite et crever longtemps ! répliqua notre héros. Jamais une horreur de ton acabit ne me passera la bague au doigt ! » « Maintenant que j'ai retrouvé ta trace, tu ne t'imagines tout de même pas que je vais me contenter de cette réponse stupide ? riposta Gudule. Attends que je me serve de mes pouvoirs magiques, tiens ! Je vais te jeter une malédiction... » « Oh, arrête ton cirque ! brama le Masque de fer. Tu n'as jamais été capable de faire une potion correcte ! Quant à tes sorts, immonde gadoue, on sait ce qu'ils valent ! Dégage de ma cuisine ! » Gudule n'aimait déjà pas les allusions déplaisantes à son physique ; mais elle supportait encore moins qu'on s'attaquât à son savoir-faire en sorcellerie. Aussi leva-t-elle la main et commença-t-elle à psalmodier solennellement une incantation destinée à transformer son adversaire en statue de sel. Elle n'eut pas le temps de la terminer : une nouvelle douche s'abattit sur elle (eau de vaisselle sale), lui coupant la parole et la respiration. Pendant qu'elle hoquetait, le Masque de fer tourna les talons et s'enfuit de la grotte à toute vitesse, emportant avec lui le matériel nécessaire pour concocter le jus d'ortie salvateur. Il ne savait pas très bien où il allait se réfugier mais ce dont il était sûr, c'est que sa grotte était devenue un endroit fort malsain et qu'il avait intérêt à la quitter en grande hâte. « Je vais m'enfermer dans le phare, elle ne viendra pas m'y chercher, se dit-il en sprintant sur la plage engalettée. Mais je dois cueillir des orties avant. » (1)
La sorcière ayant retrouvé ses esprits tourna son courroux sur le Servile Séide qui, toujours allongé sous la commode, n'en menait pas large. « Sors de là, cafard poussiéreux ! hurla-t-elle. J'ai besoin de toi ! » Mais le malheureux Servile Séide était coincé. « Ah, qu'il est nul ! Ah, quel crétin ! Ah, qu'il me fait chier ! litanisa Gudule en essayant de le tirer de son piège à graisse. Mais pourquoi me suis-je encombrée de cette serpillière ? » Et à force de tirer comme une démente sur le seul petit doigt qui arrivait à dépasser, elle parvint à l'extraire de son refuge, mais d'une façon si brutale qu'elle se retrouva plaquée contre le mur de la salle de bain tandis qu'une pluie de plâtre et de débris divers s'abattait sur elle, achevant de lui donner un aspect encore plus repoussant que d'habitude.
L'île Sainte Marguerite était en vue. Les cavaliers firent halte sur la grève et contemplèrent d'un air dubitatif l'étendue d'eau (bleue) qui les séparait de leur but. « Cela va être très difficile de traverser », dit Myxomatose, tout content. Enfin on arrivait, enfin on allait pouvoir bouffer. « C'est vrai, confirma Logarithme. Aucun d'entre nous n'a, je le suppose, le pouvoir de marcher sur l'eau. » Marsupilania la Vaillante pensait de toutes ses forces et imaginait des moyens aussi variés que bizarres pour atteindre le rivage de l'île. « Allons-y à la nage », proposa Multimédia mais on ne tint pas compte de son avis. « Le mieux est de trouver un bateau », dit Monogramme qui, malgré son statut de Princesse de conte de fée, savait encore réfléchir. On jugea l'idée assez bonne et on balaya du regard la grève : nul bateau en vue...
(Comment nos héros vont-ils faire pour traverser ? Vont-ils trouver un moyen ? Et le Masque de Fer aura-t-il le temps de gagner le phare ? Que va imaginer Gudule pour l'obliger à l'épouser ?... Comme l'auteur n'a, pour l'instant, aucune réponse à ces questions, l'épisode va s'arrêter là.)
(1) Le lecteur s'étonnera peut-être de découvrir qu'il y a un phare sur l'île Sainte Marguerite. Nous le rassurons tout de suite : il n'y en a pas. Mais pour les besoins de l'histoire, il y en aura un.