J’avais, au cours de ce long hiver, passé mes nuits à écrire. Que faire d’autre, en écoutant siffler le vent ? Rien, si ce n’est raconter ce que l’on a vécu ou imaginer ce que l’on pourrait vivre.
Un à un, les mots sont tombés dans mon cahier comme les flocons dans le jardin. Encre noire, tapis blanc, de longues phrases ont rempli les pages tandis que dehors s’épaississait la couche de neige.
Puis, un soir, le temps s’est soudain arrêté. Nature figée, immobile, au cœur du solstice.
Dans le petit matin gelé, un oiseau s’est envolé, effrayé de sa propre fragilité. Cri éphémère dans la pureté de l’azur. Blancheur et éternité.
De mon petit cahier, mes pensées frileuses se sont éparpillées, disant la beauté du monde, mais aussi ma peur et mon angoisse.
Ainsi donc, dans le grand silence de l’hiver, j’écrivais.
J’écrivais et décrivais ce que j’aurais voulu que fût le monde : un endroit où nul oiseau, le matin, ne serait effrayé par la blancheur éternelle de la mort. Un endroit où nul cri, jamais, ne devrait retentir si ce n’est pour dire la beauté fragile de l’azur.
Puis les jours, les semaines et les mois passèrent et un grand matin, ce fut le printemps. C’est l’oiseau qui me l’a dit avec ses mots à lui, qu’il inscrivait dans le grand cahier du monde. Alors j’ai déposé mon stylo, je suis sorti dans la douceur nouvelle et j’ai observé : le vol du premier bourdon, la beauté de la première fleur, la senteur du premier bourgeon. Tout était là, offert, donné, sans raison aucune.
Quand la nuit est tombée et que je suis rentré, toutes mes phrases, soudain, m’ont semblé bien vaines. Etalées là, noires sur le papier blanc, elles n’avaient ni la présence imposante du bourdon, ni l’éclat de la fleur, ni le parfum du bourgeon. Elles n’étaient finalement que des mots, des mots insignifiants et un peu tristes, qui cherchaient sans y parvenir à dire le manque, le vide et l’absence. Toute cette masse de papier inerte n’avait pas un grand intérêt et elle m’apparut pour ce qu’elle était dans toute sa futilité : un grand bavardage inutile, une logorrhée sans fin, un discours interminable.
Alors, tandis que la blanche lune se levait dans la nuit bleue, j’ai jeté dans les flammes de la cheminée le petit cahier avec toutes ses pages et toutes ses phrases devenues inutiles. Il s’ensuivit une grande chaleur qui pendant un instant m’a réchauffé le cœur.