Ses engagements personnels
Certes, Jean-Paul Cluzel, président de Radio France depuis le 12 mai 2004, est libre de ses initiatives et sa participation dans ce calendrier avait été anonyme (son visage étant caché) et surtout à titre personnel, pas en tant que l’un des principaux responsables de l’audiovisuel public français.
Oui mais le "secret" a été vite dévoilé, ce qui ne le gênait pas outre mesure puisqu’il a toujours assumé ses actes, mais cela pouvait mettre mal à l’aise ses collaborateurs à un moment crucial pour Radio France puisque son mandat se termine et qu’il en désirerait le renouvellement, cette fois-ci directement décidé par l’Élysée et le Conseil des ministres en raison de la réforme de l’audiovisuel public promulguée le 5 mars 2009. Une première pour son application.
Le 11 mars 2009, il a cependant reconnu que son implication dans ce calendrier était une « erreur d’appréciation », surtout parce qu’il n’avait pas besoin de cela pour assumer sa propre identité qu’il résume en trois mots : « gay, catholique et libéral »
Jean-Paul Cluzel n’a en effet jamais caché son homosexualité et a toujours souhaité aider ceux qui luttaient contre l’homophobie et aussi ceux qui aidaient à prévenir le sida. Il a par ailleurs été très attentif à la diversité, jusqu’à instaurer une "fête de la diversité" le 20 janvier dernier au sein même de son entreprise. Sans doute une conviction très ancienne qu’il s’est forgée au cours de ses deux années d’études aux États-Unis.
Un grand commis de l’État
Jean-Paul Cluzel, 62 ans, fils de quincaillier, est entré major à l’ENA. Parmi ses camarades de la même promotion, il y a l’ancien Premier Ministre Alain Juppé et l’ancien Ministre de la Justice Dominique Perben mais aussi Jérôme Clément (président de Arte), Louis Gallois (président de EADS) et Jean-Cyril Spinetta (président d’Air France). Jean-Paul Cluzel est généralement considéré comme un chiraquien proche d’Alain Juppé (la première fille d’Alain Juppé est même sa filleule).
Il a travaillé auprès de Jean François-Poncet lorsque ce dernier était Ministre des Affaires Étrangères de Valéry Giscard d’Estaing, puis a dirigé le cabinet de Bernard Bosson, Ministre délégué aux Affaires Européennes lors de la première cohabitation. Par la suite, il a dirigé l’Opéra de Paris pendant trois ans avant d’assumer trois mandats de la présidence de Radio France Internationale (de décembre 1995 à mai 2004), ne finissant pas son dernier mandat car appelé à diriger Radio France par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) à la suite de la démission de son prédécesseur, Jean-Marie Cavada, car devenu candidat UDF aux élections européennes du 13 juin 2004.
Un bilan flatteur
Le bilan du mandat de Jean-Paul Cluzel à Radio France est plus que flatteur : il a réussi à donner à France Inter une audience en hausse en concurrence directe avec RTL en baisse sensible depuis quelques années. De 13 à 14 millions d’auditeurs écoutent chaque jour l’une des nombreuses stations de Radio France (notamment France Inter, France Info, France Culture, France Musique, le réseau des radios locales avec France Bleue et ses radios thématiques).
Mais son meilleur bilan est sans doute un meilleur climat social : le nombre de jours de grève est passé de 4 500 en 2004 à 150 en 2008. Un bilan étonnant quand on sait que par ailleurs, avec clarté et courage, il a voulu réformer cette entreprise gérée alors de manière très archaïque, où les syndicats faisaient la loi (jusqu’à inscrire dans des accords d’entreprise la non-suppression de poste dans tel ou tel service).
D’ailleurs, c’est même ce 17 mars 2009 que Radio France a annoncé une initiative qui va dénoncer la convention collective de l’audiovisuel public, une convention qui allait de toute façon perdre de son intérêt technique avec la fusion des sociétés de France Télévisions dans sa holding.
Cette modernisation nécessaire de l’administration d’une société de droit privée qui est essentiellement financée de la redevance (donc par les contribuables) a été en partie réussie grâce à la nomination d’une direction efficace et à la politique d’une véritable direction des ressources humaines qui a défini sa propre vision indépendamment des corporatismes internes tout en maintenant une certaine souplesse dans les relations avec les syndicats. Un dosage bien délicat qui est une véritable performance et un succès pour Jean-Paul Cluzel.
Autre succès à mettre à l’actif de la mandature de Jean-Paul Cluzel, c’est la mise en place d’une véritable synergie tant entre tous les services qu’entre les différentes entités de Radio France, ce qui renforce l’efficacité et la motivation des ressources humaines et améliore la qualité du service public.
Une vision claire de l’avenir
Depuis plusieurs semaines, Jean-Paul Cluzel travaille d’ailleurs sur la société Radio France de la prochaine décennie et a déjà pointé deux enjeux cruciaux dans le développement de l’entreprise :
1. la radio numérique, qui va être nécessaire pour maintenir la concurrence avec les radios privées (RTL, Europe 1 etc.) même si le mode numérique se fera beaucoup plus douloureusement que pour la télévision (car il faudra remplacer tous les postes de radios et d’autoradios, ce qui va être coûteux pour l’auditeur qui ne verra pas beaucoup d’avantages par rapport à l’analogique) ;
2. et le développement des applications sur Internet (radio en direct etc.) avec des problèmes liés à la propriété intellectuelle pour les rediffusions.
Des attaques bien maigres face aux enjeux actuels
Alors, évidemment, quand on s’aperçoit de ce qui vient d’être dit et qu’on observe parallèlement la mousse médiatique qui entoure la première application de la réforme de l’audiovisuel public, on peut s’en étonner. La Ministre de la Culture Christine Albanel a même reconnu le 9 mars 2009 sur France Culture la nécessité d’avoir de bons arguments contre Jean-Paul Cluzel.
Car on reprocherait à Jean-Paul Cluzel deux ou trois choses assez futiles comparées aux réussites dont il est à l'origine, et en particulier :
1. Ce fameux calendrier dont il reconnaît aujourd’hui que c’était sans doute une erreur (cela montre au moins qu’il est un homme indépendant et courageux pour l’avoir fait mais qu’il sait aussi reconnaître ses erreurs).
2. Les chroniques impertinentes de Stéphane Guillon (en particulier sur Dominique Strauss-Kahn, sur Martine Aubry, et sur le voyage présidentiel au Mexique), un chroniqueur dont il s’est récemment démarqué, considérant la préservation de la vie privée des hommes politiques comme une valeur sacrée.
3. Et aussi quelques problèmes judiciaires avec deux audiences aux prud’hommes prévues les 11 mars et 27 avril 2009 pour des licenciements et une comparution le 25 mars 2009 devant une juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris pour une affaire très mineure de chahut entre animateurs d'une radio thématique.
Absence de contrat adapté à l’audiovisuel
L’un des enjeux de ces audiences, d’ailleurs, concerne le type de contrat que peuvent avoir des chroniqueurs ou animateurs maison. Ce sont en principe des CDD (contrats à durée déterminée) pour la saison (des "contrats de grille"), reconductibles en fonction de la reconduction de la grille pour l’année suivante.
Or, souvent, au bout de plusieurs années, en cas de non-reconduction (ou de départ à la retraite), ces personnes demandent (et obtiennent) la requalification de leurs CDD en CDI (contrat à durée indéterminée), ce qui, en principe, est normal dans un emploi classique mais moins évident pour des emplois dans l’audiovisuel.
Ce problème récurrent, qui touche autant l’audiovisuel public que privé, pourrait être résolu par la mise en place de contrats sur le même modèle que le "contrat de projet" mis en place par François Fillon dans sa loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 (loi 2008-776).
La nécessité d’un grand manager non politisé
La gestion d’une entreprise comme Radio France, qui compte 4 000 collaborateurs pour un budget de 600 millions d’euros, deux orchestres et un chœur, est loin d’être un job pour un journaliste. Michèle Cotta nommée par François Mitterrand en 1981 l’avait reconnu et Jean-Marie Cavada l’avait aussi compris (il n’a pas laissé un souvenir impérissable aux employés sinon la grève record des journalistes de 18 jours en début 2004, au contraire de Jean-Noël Jeanneney, futur ministre, très apprécié encore des salariés de Radio France). C’est d’abord le job d’un grand commis de l’État suffisamment sûr de lui pour savoir mener la barque selon sa propre vision.
Alors, il est sûr que les procès d’influence politique sont un peu absurdes.
D’une part, considérer Jean-Paul Cluzel comme se laissant influencer par les "gauchistes" est un peu drôle : il suffit de regarder les tracts des syndicats pour s’apercevoir que Jean-Paul Cluzel est la cible privilégiée de ces "gauchistes" qui dénoncent en permanence son "libéralisme" même si, étrangement, la CGT commence à se rendre compte que Jean-Paul Cluzel serait finalement un meilleur président de Radio France qu’un homme trop partisan qui pourrait lui succéder.
D’autre part, le considérer comme "de droite", ce qui, culturellement, est sans doute vrai, c’est oublier que les journalistes, les éditorialistes et les animateurs ont tous de forte personnalité et se laissent rarement dicter leur propre conduite (et Stéphane Guillon en premier lieu).
Qui pour 2009-2014 ?
Alors, qui va être nommé pour les cinq prochaines années ? Un gestionnaire ou un journaliste ? Un homme de radio ou un homme alibi ?
Parmi les noms qui circulent, il y a Bruno Patino (44 ans, IEP, ESSEC, actuel directeur de France Culture depuis le 16 septembre 2008 et ancien président du "Monde Interactif" et de "Télérama"), David Kessler (50 ans, normalien, énarque au Conseil d’État, son prédécesseur à France Culture et actuel directeur général délégué de Radio France pour la stratégie et les contenus), Jean-Marie Colombani (60 ans, IEP, ancien directeur du "Monde"), Laurent Joffrin (56 ans, IEP, directeur de "Libération" et ancien directeur du "Nouvel Observateur"), Denis Olivennes (48 ans, normalien, énarque de la Cour des Comptes, directeur du "Nouvel Observateur", ancien président de la FNAC et ancien collaborateur de Pierre Bérégovoy, il a fait partie des "Gracques" qui soutenaient une alliance entre François Bayrou et Ségolène Royal), Chrisophe Barbier (42 ans, normalien, directeur de "L’Express"), Denis Jeambar (61 ans, directeur des Éditions du Seuil, ancien président du groupe Express-Expansion, ancien directeur d’Europe 1 et du "Point"), Jean-Luc Hees (57 ans, ancien directeur de France Inter)…
…ou finalement Jean-Paul Cluzel devenu au fil des derniers jours le symbole de l’indépendance de la radio publique et dont le bilan aurait été reconnu à sa juste valeur ?
On pourrait en effet supposer que les besoins de la continuité dans la modernisation de la gestion passeraient avant des considérations purement politiques. C’est en tout cas ce qu’il a tenté de plaider auprès de l’Élysée hier soir.
Après tout, parmi les camarades de promotion de Jean-Paul Cluzel à l’ENA se trouve aussi Christian Frémont, qui n’est autre que le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République… et le retour d’Alain Juppé sur le plan national pourrait aussi favoriser son maintien.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (18 mars 2009)
Pour aller plus loin :
Une erreur de Nicolas Sarkozy.
La photo qui dérange.
Rude journée pour Jean-Paul Cluzel (17 mars 2009).
Pour approfondir et préciser le sujet de cet article.
L’avenir de Radio France par ses auditeurs.
L'avenir de Radio France selon Jean-Paul Cluzel.
http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=53188
http://fr.news.yahoo.com/13/20090318/tot-radio-france-et-jean-paul-cluzel-nou-89f340e_2.html