Un constat de voie de fait pour le renvoi d’un mineur de Mayotte

Publié le 19 mars 2009 par Combatsdh

C’est événement. Le juge des référés du tribunal de grande instance de Mamoudzou a constaté que la reconduite à la frontière d’un mineur comorien constitue une voie de fait.

En effet, l’article 34-II de l’ordonnance n°2000-373 du 26 avril 2000 portant statut des étrangers à Mayotte prohibe l’éloignement d’un étranger mineur de Mayotte (« L’étranger mineur de dix-huit ans ne peut faire l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni d’une mesure de reconduite à la frontière. ») - comme le fait le CESEDA pour la Métropole.

Pourtant depuis des années, la préfecture de Mayotte et la police au frontières s’assoient délibérément sur cette disposition et procèdent au renvoi massif de mineurs isolés. Ainsi, sur les 16 000 reconduites à la frontière par an du territoire mahorais près de 3 000 concernent des mineurs. Or, comme l’a constaté la Défenseure des enfants dans son récent rapport sur Mayotte , ces  mineurs sont souvent arbitrairement placés par la Police aux frontières sous la responsabilité de majeurs qui ne sont pas leurs représentants légaux afin de les reconduite à la frontière.

Ces pratiques manifestement illégales ont régulièrement été dénoncées par les associations membres du collectif Migrants Mayotte ces dernières années et par les autorités anjouanaises en octobre 2008.

Elles sont aussi rappelées dans les six saisines simultanées du Comité contre la torture des Nations Unies, du Commissaire aux Droits de l’Homme et du Comité européen pour la prévention de la torture du Conseil de l’Europe ainsi qu’au niveau national  du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, de la Défenseure des enfants et, par voie indirecte,  de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.

Car, si comme sur le territoire métropolitain, à Mayotte un mineur ne peut faire l’objet  d’une mesure d’éloignement, il est néanmoins possible qu’il “accompagne” ses parents en rétention et dans le voyage du retour sous prétexte de ne pas briser l’unité de famille. Mais en aucun cas il n’est légalement possible de le rattacher arbitrairement au premier adulte venu.

Surtout que ces mesures concernent souvent des jeunes comoriens qui vivent depuis longtemps à Mayotte - certains y sont même nés -, y sont scolarisés et et y ont la majeure partie des leurs attaches familiales et centres d’intérêts.

Les autorités ministérielle reconnaissent éloigner des mineurs assignés arbitrairement à un adulte

Cette situation est d’ailleurs reconnue par les autorités ministérielles. Ainsi, répondant le 1er septembre 2008 à la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité qui s’était inquiétée de ces pratiques, Michèle Alliot Marie, ministre de l’intérieur et Brice Hortefeux, ministre de l’immigration affirmaient que:

« la prise en compte de leur intérêt par le parquet amène celui-ci à privilégier en l’état actuel, en l’absence de structure adaptée à Mayotte, leur remise à l’un des adultes auxquels ils avaient été confiés à l’aller par leur famille » (Voir PDF).

Autrement dit, comme la collectivité départementale est incapable de mettre en oeuvre un systéme d’aide sociale à l’enfance digne de ce nom (voir ici ), les ministres préfèrent encore renvoyer les mineurs isolés, avec un majeur pris au hasard dans le centre de rétention et ce même lorsque les enfants ont… leurs parents vivant à Mayotte.

Du reste, cette pratique a été sanctionnée à l’initiative du Gisti par le tribunal administratif de Mamoudzou par un jugement rendu le 7 mars 2008 :

« En décidant que le fils de la requérante, né le 3 mars 1992 et âgé de quinze ans, serait reconduit en accompagnant un autre étranger avec lequel il n’a aucun lien de parenté, le préfet a commis une erreur de droit. »

Ce jugement n’a cependant pas prononcé d’injonction à l’État de faire revenir l’élève à Mayotte. C’est pourquoi il a fait d’objet d’un appel qui devrait bientôt donner lieu à une décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (voir ici ).
Tous nés le 1er janvier 1990

Dans son rapport, la Défenseure des enfants a également constaté une autre pratique: les agents de police aux frontières déclarent arbitrairement majeurs les mineurs faisant l’objet d’une mesure d’éloignement en portant sur les procès verbaux une date de naissance fictive du 1er janvier 1990:

« [L]es associations ont rappelé leur inquiétude quant aux mineurs reconduits à la frontière après avoir été déclarés majeurs dans le procès-verbal de l’agent interpellateur. Certaines situations ont ainsi été évoquées, témoignant de cette pratique consistant à inscrire les mineurs comme étant nés le 1er janvier de l’année permettant de fixer leur majorité (en 2008, tous les mineurs sont inscrits avec la date de naissance du 01/01/90) ».

Cette pratique a été maintes fois dénoncée par les associations de soutien aux étrangers, notamment la Cimade-Mayotte et le Resfim (Réseau Education sans frontières de l’île de Mayotte).

L’ensemble des ces alertes et rapports publics n’ont pas suffi à décider la préfecture et la police aux frontières d’arrêter ces pratiques manifestement illégales. La logique du chiffre l’emportant manifestement, dans ses priorités, sur le respect de la légalité et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le cas d’espèce: un élève de 15 ans né… le 1er janvier 1990

En l’espèce le jeune Ousseni B. a été interpellé sur le chemin de l’école le 13 février 2009. Or, comme le constate l’ordonnance du juge des référés, il était porteur d’un carnet de correspondance mentionnant, outre son nom et l’adresse et le téléphone de son père - qui réside légalement à Mayotte - de sa date de naissance: 23 mars 1994.

Cela n’a pas empêché la police aux frontières de le placer en garde à vue et à la préfecture de prendre à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière sans en avertir son père et en mentionnant -comme par magie- le 1er janvier 1990 comme date de naissance.

La préfecture est ensuite restée sourde aux récriminations du père.

Saisie par une avocate alertée par la Cimade Mayotte, Me Fatima Ousseni, le préfet a néanmoins dans une lettre du 16 février 2009 accepté de retirer l’arrêté de reconduite puis, refusé d’oeuvrer pour faire revenir l’adolescent en prétextant qu’en définitive son état civil était “sûrement” faux.

Excédés par ces pratiques répétées et systématiques les membres du collectif Migrants Mayotte ont alors décidé de recourir à l’arme lourde. Aux grands maux, les grands remèdes: le référé d’heure en heure en constat de voie de fait.

La procédure de voie de fait

La préfecture a donc été assignée par le père de l’adolescent illégalement éloigné devant le TGI de Mamoudzou.

Relevant que le renvoi d’un mineur est un acte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration préfectorale et qu’il porte une atteinte grave et délibérée à la liberté individuelle, le juge des référés constate que la voie de fait est constituée.

Le juge des référés relève notamment que “l’état de faux n’est pas avéré”.

il constate aussi que l’adolescent “mineur, scolarisé, vivant à Mayotte auprès de son père en situation régulière et maintenu hors du territoire duquel il a été expulsé sans titre doit bénéficier d’un retour auprès de sa famille”.

Mais il fait curieusement seulement “obligation” au préfet de Mayotte “de ne pas s’opposer” à son retour “jusqu’à ce qu’il soit éventuellement statué à nouveau sur son cas après contestation de son acte de naissance”. A minima il aurait pu lui donner obligation, en lien avec les services consulaires, d’organiser son retour.

Non moins curieusement l’ordonnance contient une inexactitude - (in)-digne d’un étudiant en L3 droit: elle affirme que “les réclamations indemnitaires relèvent du juge naturel de l’administration”.

Or, c’est exactement inverse. en cas de voie de fait, si le juge administratif reste compétent pour la constater, il n’appartient qu’au juge judiciaire d’en réparer les conséquences. Dans le cadre d’une voie de fait l’administration dénature tellement ses compétences qu’elle est réduite à la situation d’un simple particulier et perd donc son privilège de juridiction garanti par la loi des 16-24 août 1790 et 16 fructidor an III.

Il appartenait donc bien au juge judiciaire de réparer les conséquences dommageables de la voie de fait en condamnant par exemple la préfecture à réparer le préjudice matériel et moral du fait de l’éloignement de l’enfant, de l’interruption de sa scolarisation et des frais de retour.

Mais le plus important est que désormais les défenseurs des étrangers à Mayotte disposent d’un instrument efficace pour contester le renvoi de milliers d’adolescents ou d’enfants comoriens scolarisés à Mayotte et qui y ont la majeure partie de leurs attaches familiales.

On peut rapprocher ce constat de voie de fait de l’ordonnance rendue le 24 octobre 2008 par le juge des référés du TGI de Lille  (v. “Une perle rare: une voie de fait en droit des étrangers (le retour de la folle du logis)”, CPDH , 26 novembre 2008) ainsi que de l’affaire Madaci et Youbi qui en 1994, au moment de l’affaire du CIP, avait abouti à une décision du tribunal des conflits déniant la voie de fait (TC 20 juin 1994, n°02932 avec intervention Gisti et Cimade) dans la mouvance de l’ensemble des décisions des années 1990 ayant donné une interprétation extensive et critiquables des actes susceptibles de se rattacher à une compétence de l’administration  sur le fondement de l’ordonnance du 2 novembre 1945 (TC 24 avril 1994, Dulangi et Gisti, n°02920; TC, 4 novembre 1996, Dme Robert et Gisti, n°03035; TC 12 mai 1997, Préfet de police de Paris c/ TGI de Paris dit “Ben Salem et Taznaret”, n°03056 )

v. Rémi Carayol, Mayotte : la préfecture condamnée pour « voie de fait » après l’expulsion d’un mineur isolé; Malango actualité