La Reine et le Lapin

Publié le 18 mars 2009 par Timothée Poisot

Alice au pays des merveilles a inspiré un certain nombre de biologistes qui s’intéressent de près à l’évolution; et notamment l’un des plus remarquables d’entre nous, Leigh Van Valen, qui a émis l’hypothèse de la Reine Rouge. Van Valen nous explique que pour rester à la même place dans la course aux armements (les mécanismes d’infection du parasite et les défenses de l’hôte), il est nécessaire de courir de plus en plus vite.

Si cette course aux armements peut subir quelques modifications (l’un des coureurs peut ralentir un peu, le temps que l’autre s’essouffle), la plupart du temps, c’est bien ce qu’avait prévu Van Valen qu’on observe. La coévolution, dans le monde d’Alice au pays des merveilles, c’est la course sans fin entre Alice et la Reine. Mais le livre de Lewis Caroll contient aussi un autre personnage, qui symbolise à lui seul l’évolution des organismes dans un monde qui change : le lapin.

Le lapin a cette manie de sans cesse courir après le temps. Vous voyez le parallèle avec l’évolution? Dans la course aux armements, on considère traditionnellement que le pathogène court en tête, et que l’hôte fait ce qu’il peut pour le rattraper. Mais un individu pris sans tenir compte de ses parasites doit courir aussi vite que la vitesse de changement de son environnement, pour être assuré de s’en sortir!

L’organisme de base est donc pris dans une course sans fin contre le temps. Mais comme dans le cas de la course avec la reine rouge, dans laquelle il est possible de faire des pauses, est-il cette fois possible d’aller plus vite que le temps, pour avoir un peu d’avance?

La microbiologie nous apprend que oui! Trois choses déterminent votre capacité à changer, face à un nouvel environnement. Soit vous êtes capable de plasticité phénotypique : l’environnement, toutes choses étant égales par ailleurs, fait que votre développement prendra un tour quelque peu différent. Soit vous vous acclimatez : votre physiologie fonctionne de manière optimale dans un environnement donné, mais elle a une marge d’erreur appréciable : vous pouvez tout à fait fonctionner sans trop de problème dans un environnement un peu différent (félicitations, vous êtes un organisme généraliste!). Soit, enfin, vous évoluez, en «déplaçant vos traits» pour correspondre à un nouvel optimum.

C’est dans cette situation que vous courrez après le temps. Et ce qui détermine la vitesse de votre course, c’est votre capacité à muter : le taux de mutation. Un petit organisme qui ne vérifie pas les erreurs de réplication court beaucoup plus vite que le mammifère moyen (et c’est en partie pour cette raison que nos pathogènes ont une foulée d’avance sur nous dans la course aux armements).

Chez les bactéries, le taux de mutation varie beaucoup à l’intérieur d’une population. Pas du simple au double, non, mais de 3 ordres de grandeur : certains génotypes mutent 1000 fois plus que d’autres! Une équipe Texane a publié un très beau papier dans PLoS Genetics, dans lequel ils montrent qu’un changement d’environnement (une augmentation de la température) favorise les sous-populations mutatrices, qui sont plus à même d’aller «chercher» la petite mutation qui leur permettra de ne plus avoir besoin de courir après le changement.

Que faut-il en retenir? D’une part, que Lewis Caroll vous fera autant comprendre l’évolution, et surtout les grands principes qui la fondent, que John Maynard Smith. D’autre part, que comme avec Van Valen, il ne faut surtout pas considérer que les organismes sont sans défense face à une loi évolutive implacable. La nature trouve toujours de petits moyens de s’en sortir, même quand la situation est délicate…