Si vous n’avez toujours rien compris à la subtile nuance entre fraude fiscale et évasion fiscale et que vous n’êtes pas encore convaincu que le fameux secret bancaire n’est rien d’autre que la version bancaire du secret professionnel, je ne saurais trop vous conseiller de lire la triade d’excellents billets proposés par Dani, En fait et en droit et Kalvin.
À la recherche d’informations sur le sujet qui défraye la chronique, je suis tombé sur un article largement repris par la presse et les sites internet intitulé «Le secret bancaire : un impératif moral». Vous pensez bien que mon sang n’a fait qu’un tour quand j’ai lu ce titre en forme de profession de foi que l’on doit à Jan Krepelka, chercheur associé au très libéral Institut Constant de Rebecque de Lausanne.
Dans son article, le chercheur, s’élance dans une apologie non pas du secret bancaire, qui n’est, je le répète, que le volet bancaire du secret professionnel auquel sont aussi soumis les médecins, les fonctionnaires ou les religieux, mais de ce qu’il appelle «l’évitement fiscal». Pour arriver à ses fins, le chercheur du think tank spécialisé aussi dans l’éthique (!) met en place un subtil amalgame entre secret bancaire, évitement fiscal, évasion fiscale et fraude fiscale.
Cette magnifique salade lui permet de laisser croire sans honte aucune, que la fraude fiscale, c’est-à-dire le fait de ne pas déclarer certains éléments de son revenu ou de sa fortune, serait moral. Il revendique ainsi le droit de «protéger ses revenus des impôts, que ce soit en travaillant dans un canton et habitant dans un autre fiscalement plus avantageux, en plaçant son argent là où il est le plus protégé, ou encore en payant le moins d’impôts possible en profitant des diverses possibilités d’évitement fiscal.» Une revendication qui conduit tout droit sur la pente glissante de la fraude fiscale en suggérant entre les lignes qu’il est moral d’exporter ses sous là où on ne payerait pas d’impôts.
Pour étayer encore mieux ses dires, Jan Krepelka se lance dans une comparaison fumeuse en affirmant que ce qu’il appelle l’évitement fiscal permet de garantir le respect de notre vie privée comme les rideaux de nos fenêtres. Pas de chance, pour cela le secret professionnel bancaire est largement suffisant.
Mieux, le chercheur laisse entendre que son secret bancaire permet de lutter contre l’Etat qui «n’a pas forcément toujours raison, et [dont les] lois ne sont pas toujours justes» et ainsi de se protéger des «impôts confiscatoires, arbitraires et finançant pour la plus grosse part des dépenses qui ne devraient pas être faites par l’Etat.» Rappelons juste qu’en Suisse - ainsi que dans l’écrasante majorité des pays européens - la plupart des cantons et la Confédération sont dirigés par des adeptes du libéralisme et que les lois fiscales sont votées par des parlements largement en phase avec ses théories.
Pour faire bon poids, l’homme invoque également les Droits de l’homme pour apporter un peu de moralité à l’évitement-évasion-fraude fiscale. Ben voyons.
Et tant qu’à faire, pour achever de convaincre les plus sceptiques l’ultra-libéral érige la magouille fiscale au rang d’utilité publique : «En outre, l’évitement fiscal rend également service à autrui: il pose une limite au pouvoir d’imposition des Etats, et force bien souvent les Etats à baisser les impôts de tous.» Honnête travailleur et contribuable loyal te voilà rassuré : les combines fiscales des riches qui ont la possibilité de combiner vont te permettre de payer moins d’impôts en toute moralité. Quelques dizaines de francs en plus dans ta poche contre quelques millions dans les leurs et autant de services publics en moins pour toi.
Affirmer que l’évitement-évasion-fraude fiscale profite à tout le monde c’est un peu comme prétendre que les chauffards qui roulent bourrés à des vitesses de dingues sont des modèles de civisme puisque c’est grâce à eux qu’on a des limitations de vitesses et de lois régissant la circulation routière.
En résumé, Jan Krepelka essaie de démontrer que l’impôt est immoral et que l’évitement fiscal est de la légitime défense. Du pur foutage de gueule décomplexé néo-libéral. Il a bien dû se marrer le «chercheur» en écrivant ça.
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