« Littérature. Se méfier de ce mot. Ne pas le prononcer trop vite. Si l’on ôtait la littérature chez les grands écrivains on ôterait ce qui probablement leur est le plus personnel. Littérature = nostalgie. »
- Albert Camus, Carnets II : janvier 1942 – mars 1951 -
La grandeur assassinée
Comme chaque année, le salon du livre de Paris est l’occasion de mettre pour quelques jours à l’honneur les pages blanches teintées par la noirceur des lettres encrées. L’occasion aussi pour l’émission La grande librairie de proposer un panel de la littérature française, d’inviter quelques-uns de ces grands de l’instant à étaler leurs avis.
L’occasion pour une partie du public – dont je fais partie – de tâter une fois de plus de ces têtes littéraires, d’éprouver leurs connaissances, leurs réflexions et leur art. Leur art… Avec un A minuscule en de telles circonstances.
Deux visages récurrents de la bibliothèque française mènent la barque : Beigbeder et Nothomb, considérés pour le coup comme des figures incontournables. Ces figures justement, tellement révélatrices par leurs expressions de ce que les pages ne font que confirmer.
Amélie Nothomb, du haut de sa quarantaine d’années, fardée jusqu’à atteindre la pâleur blanchâtre et les lèvres d’un rouge sanguinolent. Frédéric Beigbeder, rehaussé dans son rôle de dandy par un costume lassant et une pilosité développée en guise de touche rebelle. Deux auteurs. Deux écrivains. Deux romanciers.
Et comme tous les romanciers, ils sont orgueilleux. Rien de mal à cela : il faut de l’orgueil pour écrire, pour oser dire « moi, je… », pour oser affirmer que son propre nombril a quelque chose d’intéressant à dire, de nécessaire même. Mais ce nombrilisme comme moyen a vite fait de se transformer en fin.
Nothomb semble suinter la frustration par tous les pores de sa peau pâlissante. Des allures de gamine vieillissante et des expressions empreintes de tics renforcent une impression de malaise lancinante, une recherche d’un accomplissement absent, d’une affirmation frauduleuse d’une vérité individuelle se voulant unique – donc fausse, par définition. Heureuse d’avoir des lecteurs, et n’ayant rien à faire des critiques. Voilà l’aveux : l’orgueil s’est mué en égocentrisme. Au moins peut-on lui reconnaître cette conscience d’avoir un lectorat.
Beigbeder quant à lui ne s’embarrasse pas de lecteurs : son rôle n’est pas dans la littérature, il est dans la prestation visuelle. Dans une certaine provocation médiatique incapable d’atteindre le scandaleux glorifiant, lui préférant le scabreux navrant. L’exercice de style se résume à une apologie masturbatoire où le mouvement de va-et-vient ne donne aucun répit à l’astiquage de la plume. Comme de juste, le résultat se résume à de brèves éclaboussures, des balbutiements dépourvus de majesté rhétorique. Certes les citations fusent, mais pas la réflexion ; c’est que l’homme connaît ses classique mais ne va pas jusqu’à faire usage de son cerveau. Le rôle, rappelons-le, se limite au paraître. S’il y a une confession, c’est celle de son inconsistance.
D’autres parviennent à mieux défendre les textes français que ces pauvres émules de la médiocrité ambiante. Ces autres se nomment Alain Mabanckou ou Atiq Rahimi. Ils ont l’accent chantant des steppes afghanes ou les intonations saccadées et exotiques de l’Afrique noire ébène. Ils ont l’amour de la langue et de la vie, non pas la pâle copie difforme et édulcorée d’une réalité dénigrée brandie comme parole d’évangile. Celle-là même qui paraît d’abord fade en bouche et finit par faire vomir.
Dans leur élocution sensuelle, ces hommes d’ailleurs, ces émigrés de la langue nous disent que le Français est un moyen d’expression magnifique. Sans oser le prononcer de façon explicite, ils dressent également un bilan, le bilan d’un échec. Ils nous disent que la littérature française est malade. Qu’elle n’est plus de la littérature, tout au plus de l’écrit. Ils nous montrent les pages suintantes de sang alors que les assassins de cette grandeur passée sont assis devant eux.
Le livre est à vendre : l’émission porte bien son nom ; il s’agit d’une « librairie », en aucun cas d’une « bibliothèque ». Et pour l’occasion, le meurtre de l’écrit coûte bien moins de trente pièces d’argent et s’avère rentable en prime de cela.
Nos ouvrages souffrent. Ils agonisent. La dimension leur fait défaut. La littérature est devenue une nostalgie parce qu’elle est morte. La démission de la mythologie est inscrite sur ses pages. Adieu Rougon-Macquart, Meursault, Sorel, Justine et autres Monte-Cristo.
Ce que notamment des auteurs comme James Ellroy ou Amos Oz savent encore édifier n’est qu’une absence pour nos pairs contemporains. Ceux-là multiplient des semblants infects de vies réappropriées à partir d’expériences frôlant le minimum vivant. Inutile de se demander alors d’où vient que leur langue ne puisse s’élever.
Les cimes appartiennent à d’autres, bien plus légitimes, dont la vérité, la réalité comme la fiction, touche les cordes sensibles du monde. En attendant, la majesté française se contente d’un assassinat pitoyable qui n’atteint ni le mystère conspirateur ni la finesse élaborée mais convulse dans un ramassis de merde linéaire et insipide.
L. T.(18/03/09)
Pour les plus curieux : http://www.france5.fr/la-grande-librairie/index.php?page=article&numsite=1403&id_rubrique=1406&id_article=8123