handy - cap

Publié le 18 mars 2009 par Collectifnrv

Pierre est un homme d’une soixantaine d’années, assez discret, et un peu « loser » sur les bords ; et, Claire est une jeune femme très curieuse de tout et très critique sur le monde. Ils s’estiment mutuellement, malgré leurs désaccords respectifs. Tout en marchant, ils discutent. Elle commence :

- Comme je connais un peu ton orientation, je voulais te poser une question un peu polémique. Badiou parle  d’ « hypothèse communiste ». Quelle différence y a-t-il selon toi avec ce qu’appelle Straub : l’ « utopie communiste d’Hölderlin » ?

- Pour moi, parler d’hypothèse, c’est avoir une idée… pré-établie… d’une construction possible, alors que l’utopie, c’est plus prudent, plus ouvert… – ça reste indistinct…

- Mais, pour moi, la nuance est grande – ça s’oppose presque.

- Non, ça ne s’oppose pas. Mais, à un moment, il faut intervenir politiquement – et parler d’hypothèse communiste, c’est opérant dans le champ d’un discours politique. Quand Straub parle d’utopie, on reste au mieux dans une conception, disons « esthétique » : il ne fait pas de politique.

- Là, pas d’accord. Chacun de ses films sont politiques, et quand il parle en public, c’est aussi politique.

- On s’est mal compris. Je suis d’accord avec toi. Bon. Là où je veux en venir, c’est que l’idéologie capitaliste a tout fait pour éliminer le mot « communisme ». A l’époque, on parlait de « communisme réel ». Le communisme était en marche, évident pour tous…

- Ah ?! tiens ?! je ne connaissais pas cette expression. En parlant de ça, je pense que c’est très con « l’anti-capitalisme », parce que ça ne fait que renforcer le capitalisme. Cela dit, il faut certes un contre-discours capitaliste, mais en fait il faut surtout un discours qui aille contre l’idéologie dominante sans aller chercher à l’améliorer. C’est ce que disait Badiou à propos des oxymores : le « capitalisme moral », ou les « privatisations nationalisées ».

- Surtout qu’avec les crises, on voit maintenant les impasses. Marx l’avait vu très tôt déjà : le capitalisme est tellement pétri de contradictions qu’il faut passer à autre chose. Et, c’est Lénine qui en tire les implications pratiques dans son livre Le Développement du capitalisme en Russie. On est passé d’un capitalisme de producteurs à un capitalisme de consommateurs.

- C’est intéressant, parce que ça veut dire que les producteurs n’arrivent plus à – j’allais dire ‘relancer’ – à faire tourner la machine, alors, ils vont chercher les consommateurs, comme carburant. Et même à les intégrer parmi les producteurs, ou à les inclure comme actionnaires, en leur faisant participer aux bénéfices…

- Il n’y a plus d’industries en France, ni en Europe. Tout est fabriqué par les Chinois ou en Asie. Les sociétés occidentales ne produisent plus rien.

- Ah si, quand même !

- Du service.

- Il y a des industries de services et des conglomérats financiers.

- Je veux dire qu’il n’y a plus de fabrication matérielle…

- Oui.

- …d’industrie qui nécessite du matériel.

- Là, non. Enfin, je vois où tu veux en venir…

- On ne fabrique plus de voitures comme le faisait General Motors…

- Tiens, c’est intéressant, parce que l’un des types les plus riches du moment – et ce, depuis une vingtaine d’années – c’est Bill Gates. Je fais exprès ce rapprochement, parce qu’il y a cinquante ans le modèle de vie, c’était la voiture et la machine à laver. Aujourd’hui pour appartenir au monde, pour être dans le coup, il faut avoir son téléphone portable, ou son ordinateur.

- Aujourd’hui, si tu n’as pas de voiture, ni d’ordinateur, tu es « handicapé »…

- Tu as une « mobilité réduite ». Et puis, pour relayer l’idéologie, il y a cette presse qui n’informe pas…

- Si ! elle informe…

- Non, elle n’informe pas.

- Elle dicte des comportements, produit des habitudes.

- Elle conforme, tout au plus. Mais, on ne peut pas dire non plus qu’elle intoxique – même si c’est le cas. Il faudrait trouver le mot.

- L’enfumage, la propagande…

- Elle bourre le crâne, elle brouille l’écoute…

- C’est le mécanisme du consentement.

- Je suis désolé de pinailler, mais « consentement », ça ne me convient pas. Il manque quelque chose, quelque chose qui masque les vrais enjeux. Je veux dire par là que, oui il y a consentement, mais, qu’il y a quelque chose de plus profond. Quand on consent, on est d’accord, mais d’accord pour quoi… C’est quoi l’expression qui va avec ?

- L’expression ? Chomsky a écrit ce livre, La Fabrique du consentement.

- Oui, voilà, d’un côté, on fabrique, et de l’autre, on accepte la fabrication – mais pas du consentement. Il y a un pacte. Mais, en fait, on est d’accord pour participer au capitalisme, on adhère. On adhère à l’engrenage. A chaque fois, donc, c’est plus que du consentement, c’est de l’embrigadement. A chaque fois qu’on cède, on le favorise…

- Pour favoriser le consentement, il faut corrompre, dans le vrai sens du terme : altérer, pourrir. Et, les gens se laissent facilement corrompre, jusqu’à être contaminés. A l’arrivée, ils sont intoxiqués par la voiture, la télé, l’ordinateur. Je dis souvent que celui qui tape les « 3w » – world wide web – il est déjà mort.

- Je ne suis pas d’accord. Il est pris, il est piqué, mais, pour le reste, je ne dirais pas ça – pas plus qu’autre chose en tout cas. Mais, bon, il faut reconnaître que internet, c’est un nid, non, un repaire de fêlés.

- Pour moi, c’est le règne du fictif…

- C’est marrant, parce qu’en parlant un peu de ces choses-là avec un critique très connu et très respectable, il disait : « Ils parlent des blogs – ils disent tous que c’est bien – alors qu’Internet, c’est un fléau. » Des gens qui prennent des pseudos, et parfois même celui des autres, pour se défouler. Bon, c’est vrai, à 99%, c’est des fêlés. C’est un océan de fêlés.

- Bon, c’est un peu comme l’alcool, ou la drogue, on peut se désintoxiquer…

- Bon, sur ces grands mots, il nous reste qu’à continuer à essayer de construire quelque chose de vivable…



par Albin Didon