Ce qui est opérant dans la cure, des psychanalystes en débat, éd. Érès
Lina Balestrière, Jacqueline Godfrind,Jean-Pierre Lebrun, Pierre Malengreau
Il n’est pas courant que des psychanalystes appartenant à différentes associations [i] séparées par une longue histoire de conflits et de scissions se réunissent pour débattre de leur pratique. Il n’est pas courant qu’ils s’attachent à expliciter ce qui, de leur point de vue, est opérant dans une cure. Il est encore moins courant qu’ils publient leurs débats dans un même ouvrage.
L’écriture de cet ouvrage s’est imposée à eux après une expérience de plusieurs années de confrontations, de débats et de controverses initiée autour de la question de la notion d’état-limite, contestée par certaines de leurs associations bien que, pour certains d’entre eux, elle rende compte d’une « réalité clinique ».
Le livre reprend ce dispositif de débat, chacun devant « expliciter les arguments qu’il jugeait essentiels à défendre quant à « ce qui est opérant dans la cure » » et le soumettre aux commentaires des autres participants.
Comme il se doit ce n’est pas à partir de « ce qui marche », les cures « traditionnelles », entendez celles de névrosés « ordinaires », que la réflexion se construit mais à partir des cures qui posent problème, celles qui posent à certains la question de ce que certains pensent être de « nouveaux analysants ». Ainsi Jacqueline Godfrind qui ouvre le feu, après avoir retracé les étapes de sa formation, déploie son parcours de pensée et de travail pour tenter de rendre compte non seulement de ce qui est pour elle difficulté par rapport au « travail analytique traditionnel » mais de la façon dont elle a essayé de le penser et les appuis théoriques qu’elle a « recrutés » , Mélanie Klein, Winnicott, Bion, Bleger. Auteur d’un ouvrage “Les deux courants du transfert” PUF, 1993, elle en arrive dans une réflexion sur le contre-transfert à « l’idée que l’analyste « rêve » son patient et qu’il « prête son appareil à penser » en guise d’étayage aux défaillances de l’appareil à penser de l’analysant. » Pour travailler le niveau de ce qu’elle appelle la « symbolisation primaire » elle fait appel à la nécessité d’un « contre-tranfert symbolisant » qui « confère une qualité incarnée aux communications verbales que l’analyste transmet à l’analysant. »
C’est autour de ces idées de « prêt de l’appareil à penser » et d’un « contre-transfert symbolisant » que vont se dérouler dans la suite de l’ouvrage une bonne partie des débats.
Car comment les psychanalystes « lacaniens » vont-ils entendre et re-traduire dans leur conceptualisation les hypothèses de cette analyste « ipéiste » ? C’est en effet dans cet effort d’explicitation, de repérage, de ce qui différencie ces quatre analystes mais aussi d’appropriation dans leur propre façon de travailler des apports de leurs collègues ainsi que dans la transmission qu’ils peuvent en faire à leurs collègues que se situe l’intérêt essentiel de ce livre.
Car le front des « lacaniens » n’est pas homogène, en tout cas sur tous les points. Cette question va être soulevée de façon intéressante par Lina Balestrière qui interroge J. Godfrind sur le statut même du concept en psychanalyse dont dépendent selon elle « les outils pour penser ses potentialités de transformation ». Et elle ouvre ainsi sur la question « d’une théorie transindividuelle et transgénérationnelle du refoulement ». Ouverture à laquelle Jean-Pierre Lebrun qui soutient son hypothèse d’une mutation inédite du lien social [ii] ne peut être insensible. Il rejoint ainsi la question de J. Godfrind sur le « manque à symboliser » . Mais le travail avec des patients se trouvant dans cette position est-il encore de la psychanalyse ? S’agit-il d’une « extension du champ de la psychanalyse » mais de toujours de la psychanalyse comme le suggère en réponse J. Godfrind ? Mais quelle psychanalyse ? Question qui traversera l’ensemble du débat et débouchera sur la différence entre psychanalyse et psychothérapie.
Il est tout à fait remarquable en effet que se succèdent ainsi les « expositions », propositions, très différentes et que néanmoins dans une sorte de progression un écheveau de questionnements se constitue peu à peu. Non sans mal en essayant de surmonter une incompréhension parfois profonde. Ainsi en est-il bien sûr de la question du langage, de la parole et du corps (appelé aussi parfois le vivant) et de sa sensorialité comme l’aborde Lina Balestrière.
Qu’est-ce que le corps ? Qu’est-ce qui définit le vivant ? Quelle est cette rencontre entre une parole, un silence et un corps ? Malentendus ou réelles divergences ? Qu’est-ce que la parole analysante et comment, d’où doit-elle être proférée ? « Là où nous ne sommes pas d’accord , affirme Malengreau, c’est sur la place qu’un psychanalyste donne à ses propres élucubrations analysantes dans les cures dont il a la charge. »
D’où la question de JP Lebrun : une certaine façon de lire Lacan n’empêche-t-elle pas de travailler avec certains patients ? Une fois encore c’est dans le déploiement de cette question que chacun est poussé à avancer dans ses élaborations, nous amenant à nous questionner nous-mêmes sur nos propres positions.
En effet conclue Lina Balestrière après son développement sur le « transfert contactuel », « le maniement du processus suscité par la cure psychanalytique est complexe, et cette complexité est telle que nous ne pouvons pas nous contenter d’un seul axe de travail, d’une seule appréhension des phénomènes en jeu, d’une seule théorisation possible, d’une seule topique . » Appel à sortir des orthodoxies orthodoxies cloisonnées de certaines associations ou écoles. « Ce qui importe dit-elle c’est la « méthode », sorte de « façonnement » de notre écoute, de notre « entendement » au service de chaque analysant singulier. »
« Conviction du psychanalyste » comme le disait Ferenczi interroge P. Malengreau, mais pour lui reste entière la question de « l’indétermination que rencontre le psychanalyste quant à savoir ce qu’il est comme sujet dans l’expérience analytique qui va de pair avec la certitude qu’il peut tirer de sa pratique, qui forment le nœud de l’ininterprétable …et qui dénotent l’absence de garantie qu’il y a au cœur de tout acte humain. » D’où à nouveau un débat sur le transfert et l’intérêt pour la réflexion que présente le terme « contactuel ». Retour également à la question du corps en tant qu’affecté, et à la notion de sensorialité, utilisé par Freud, et qui renvoie aux traces laissées par les premières expériences et non élaborées par les mots : ce que Piera Aulagnier appelait les pictogrammes.
Cet intérêt pour les premiers temps de l’expérience du petit sujet ne peut que rencontrer à nouveau le questionnement de JP Lebrun et retour au débat précédent sur la position psychique « non séparée » de ces « nouveaux patients ». Comment le corps se noue-t-il au langage , « en ces moments où l’intervention paternelle réelle s’avère bien souvent chancelante, voire disparue, du fait de la perte de l’appui qu’elle trouvait dans le cadre symbolique du patriarcat » ?
Comment se nouent la fonction paternelle et la fonction maternelle ? et d’ailleurs comment définir ces fonctions ? La réponse à cette question a bien évidemment des conséquences sur l’intervention de l’analyste. La question est à penser en fonction des topiques auxquelles on se réfère et débouche sur la question du trou de la perte originaire. Question fondamentale que reprend dans son exposé JP Lebrun.
En effet, comme le fait remarquer dans le débat L. Balestrière, une fois de plus leur intérêt converge vers la question du corps à travers un certain maniement de la cure. Corps qui pour JP Lebrun est celui du corps à corps maternel, celui de la mère-version et de l’attachement incestuel à la lalangue , thème déjà apparu dans les précédents débats.En conséquence JP Lebrun développe à nouveau ses questions sur les modifications éventuelles de la conduite de la cure et notamment sur la question de l’interprétation.
Se déploie à nouveau mais d’une autre façon le débat sur psychothérapie et psychanalyse.
On notera que ces quatre auteurs ont été reçus ensemble pour débattre de leur livre dans chacune de leur association, et qu’ils animent de nombreux débats dans toute la France dans lesquels se mêlent des psychanalystes de toute obédience institutionnelle.
Les auteurs affirment que ce travail a participé pour eux du plaisir de penser (Balestrière) et a eu des effets dans leur pratique (Malengreau). Il semblerait qu’il en est de même pour nombre de leurs lecteurs que ces confrontations inhabituelles et cet effort de penser, poussent à poursuivre les débats ce dont, en ces temps de « crise » de la psychanalyse, on ne peut que se féliciter.
Dans un entretien avec leur éditeur, JP Lebrun signale d’ailleurs que ce travail de longue haleine n’a pas été pour rien dans la possibilité de créer en Belgique une « Fédération des associations belges de psychanalyse » qui s’est constituée pour faire face à la volonté du législateur de légiférer à propose des psychothérapies .
Françoise Petitot
Source : www.oedipe.org
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i
Jacqueline Godfrind de la Société belge de psychanalyse et de l’IPA, Lina Balestrière de l’Ecole belge de psychanalyse, Jean-Pierre Lebrun de l’Association freudienne de Belgique et de l’ALI, Pierre Malengreau de l’Ecole de la cause freudienne en Belgique et de l’Association mondiale de psychanalyse.
ii
Cf La perversion ordinaire, éd. Denoël