Dans l’appartement de Steve, Suelen était absorbée par les explications de Paul. Lui même n’avait pas remarqué que l’heure avait tournée :
- « Putain 17h50 ! Steve m’attend dans 10 minutes à Alésia. Je ne serai jamais à l’heure ! Il faut que je file tout de suite. Que fais-tu Sue ?
- Je viens avec toi ! »
Paul aurait souhaité s’y rendre seul. Mais par gentillesse et parce qu’il ne voulait pas la froisser, il se plia à sa volonté et se contenta d’un hochement de la tête pour réponse.
Ils claquèrent la porte puis dévalèrent les escaliers. Sue, qui avait beaucoup de mal à suivre le train d’enfer de Paul, perdait du terrain inexorablement.
Paul, qui ne s’était pas retourné, avait pris quelques secondes d’avance. Il se pointa seul dans la rue.
L’homme qui attendait depuis presque une heure dans sa voiture esquissa un sourire sadique. Il alluma le gros moteur de son Audi A6 3.0L tDi violette et se dégagea lentement de sa place de parking. Sue sortait à peine de l’immeuble quand Paul commençant à traverser la rue en lui cria :
- « Ma voiture est juste en face, c’est la bouse verte là-bas ! »
Dans la rue, l’Audi prenait de la vitesse. D’un coup sec sur l’accélérateur, l’homme libera les 230ch dans un vacarme infernal. Le bruit assourdissant du moteur pétrifia Paul au milieu de la rue. Sue, qui voyait déjà Paul sous les roues de la puissante berline poussa un cri de terreur quand tout, Oleg, venant du trottoir opposé traversa rapidement la rue et poussa Paul sur le capot de la voiture blanche garée devant le N°31. L’élan du vieil homme n’étant pas suffisant, il lui manqua quelques centimètres pour se mettre à l’abri lui aussi, ce qui n’échappa pas au conducteur de l’Audi. D’un coup de volant, il broya les jambes d’Oleg entre les deux véhicules. Le geste, d’une précision rare, n’avait entraîné quasiment aucun dommage matériel. Son Audi n’avait même pas touché l’autre voiture. Aucune trace de peinture ne serait ainsi visible.
Alors que le vieil homme s’écroulait, Paul, jusqu’alors un peu abasourdi, reprenait lentement ses esprits. L’Audi était déjà très loin. Il se redressa sur le capot et ne pu constater que l’ampleur du désastre.
Profitant de l’état de panique qui avait envahit la rue, Paul, descendu du capot, prit Suelen en pleur par la main :
- « Viens, on file à ma voiture. Des passants ont déjà appelé les secours, on a plus rien à faire ici ! »
Paul poussa les rapports, et la petite Saxo, dans un vacarme pas possible, quitta à son tour la rue à une vive allure en direction d’Alésia, précédée de quelques minutes par l’Audi A6.
4ème arrondissement, 5 mois plus tôt :
Oleg, referma la porte après avoir salué Sally. Sans dire un mot, il l’emmena vers le salon au bout du couloir, au pied du grand escalier :
- « Il vous attend là-haut… »
Il ? Mais de qui parle t-il, se disait intérieurement Sally ? Elle fixa Oleg avec de grands yeux interrogateurs.
- « Allez, vous ne le regretterez pas… »
Sally saisit la rampe en or massif et escalada lentement les marches qui menaient au plateau supérieur.
Une voix la guida jusqu’à un deuxième salon. Un homme grand et maigre l’y attendait. Il se tenait devant une grande fenêtre. Le contre-jour empêchait Sally de voir son visage de manière distincte. A la manière du « Retour du Jedï », il annonça d’une voix grave et sûre :
- « Bonjour Sally ! Je suis ton père ».
La jeune qui était restée muette depuis son entrée dans l’appartement restait bouche bée.
Vladimir se lança alors dans un long récit détaillé, sa relation avec Sue, sa mère, son appartenance à l’ Organizatsiya, Организация en cyrillique, ou Mafia Rouge. Lorsqu’il rencontra Suelen pour un soir, il n’était alors qu’un simple pion de la pieuvre. Pour intégrer l’organisation, il avait du se soumettre aux rites initiatiques. A l'instar des Yakuzas au Japon, il avait du se faire tatouer le signe de distinction, preuve de son appartenance au groupe. Petit a petit, il a gravi les échelons de l’organisation. C’est lors de la Perestroïka, la restructuration sous Gorbatchev, que Vladimir, connaissant les rouages du système d’une Union Soviétique sur le déclin et en association avec des hommes de "l'anti-système" constitua en occident un maillon incontournable de la Mafia Russe avec pour activités principales : trafic de drogue et d'armes, blanchiment d'argent, prostitution et proxénétisme. Evoluant avec l’air du temps, sa « filiale » s’est peu a peu spécialisée dans le passage de clandestins, les enlèvements, les extorsions, la corruption de fonctionnaires et personnalités politiques, puis l'infiltration d'entreprises et le "cyber-crime", comme l'utilisation frauduleuse de cartes de crédit et le vol d'informations confidentielles. Le début de son ascension, il la devait à l’adjoint du Parrain (appelé aussi " Brigadier") de l’époque, qui n’était autre que John Keller. Le Brigadier était alors étroitement surveillé et contrôlé afin qu'il ne prenne trop d'importance et qu'il ne représente une menace directe pour son Parrain. C’est justement Vladimir qui fut chargé par le Parrain de la surveillance de John.
Sally écoutait consciencieusement, pour ne pas perdre une miette du récit. C’était comme si elle découvrait une partie de sa propre vie. Vladimir s’attardait longuement sur ses relations avec John Keller. Alors qu’il racontait comment, un jour, par loyauté envers le Parrain il avait dû trahir son ami, le téléphone sonna.