Il paraît que les étudiants polonais (pour ne citer qu’eux), ne peuvent pas lire “Les Contemplations”. Et pour cause! La traduction n’existe pas. Il paraît aussi que Victor Hugo est très mal traduit en anglais. Il paraît encore que chez nous, la littérature comparée, qui permettait jusqu’alors d’approcher les oeuvres d’écrivains hors de l’hexagone (si, si, cela existe une littérature au-delà de nos frontières!), il paraît que cette discipline est aujourd’hui en péril .
Mais au fait, que savons-nous en France de la littérature polonaise? Y a-t-il des écrivains en Bulgarie? En Roumanie? Quel patrimoine littéraire partageons-nous en tant qu’Européens? Quelles oeuvres appartiennent à tous? Peut-on dire qu’il existe une littérature européenne ou parlera-t-on des littératures de l’Europe? Que doit-on enseigner alors? Et quand doit-on l’enseigner?
On le voit, le questionnement est plus grand que les certitudes.
Le Conseil de l’Europe (à travers sa Commission de la culture, de la science et de l’éducation, présidée par Anne Brasseur, de nationalité luxembourgeoise, connue pour son rapport sur les dangers du créationnisme dans les système éducatifs), essaie de promouvoir cette ouverture aux écrits des différents pays. La ville de Strasbourg s’inscrit donc tout naturellement dans cette démarche et décerne des prix littéraires aux écrivains de l’Europe d’aujourd’hui. Il s’agit d’un véritable combat à mener dont la finalité n’est rien moins que de travailler à la perception de l’identité européenne. Aussi, en écrivant son ouvrage “Lettres européennes, Manuel d’histoire de la littérature européenne” (éditions De Boeck, 2007), Guy Fontaine milite-t-il pour faire connaître les grands courants de pensée qui ont façonné l’Europe bien avant que n’existent les institutions que nous connaissons aujourd’hui. Il explique:
“Yourcenar, quand elle explore sa généalogie flamande depuis le nord de l’Amérique, emprunte le titre de sa trilogie, “Le Labyrinthe du monde”, à Comenius , un penseur de Bohème. Le dramaturge anglais Shakespeare trouve l’intrigue de Hamlet chez Saxo Grammaticus, historien danois. Pourquoi refuser à la pédagogie de la littérature ce qui est admis dans le domaine de la culture musicale par exemple : la prise en compte de son européanité ? Imaginez une discothèque qui ne comprendrait que des œuvres de Lully, Berlioz, Fauré, Messiaen… Étonnant ! une culture musicale ignorant Purcell, Bach ou Rachmaninov…”
Comme on le voit, rendre accessible, d’une langue à l’autre, les mots écrits en cette Tour de Babel qu’est l’espace européen est un chantier immense…
Illustration:Tableau de Théo Van Rysselberghe , Une lecture (1903) d‘Emile Vaerharen poète francophone, né en Belgique.Y a-t-il une littérature belge?