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Calvaire (2)

Publié le 18 mars 2009 par Didier54 @Partages
[Le premier épisode est ici]
Je me suis retrouvé vite fait en cellule. Effaré mais pas surpris au vu du déroulement des événements. Première fois de ma vie. On n'imagine pas les odeurs, en fait. Le reste, ça va. Mais les odeurs... Je pissai dans un coin, avec toute la honte du monde dans l'échine et le sourire d'un voisin de chambrée qui se foutait de moi. Il n'avait pas de dents. Les miennes claquaient de froid. De crasse. Le flic n'avait rien voulu entendre. Le nerveux. Il s'était installé à son bureau. Pieds affalés, mains derrière la nuque. Quel égo, je pensais, pendant qu'il faisait son calme alors que ça cuisait dans son cerveau. L'affaire du siècle ? Pas courant, un crime, dans cette cambrousse.
Entre un mort en décomposition et lui, je n'avais pas tiré le gros lot et je repensais à mon café du matin, à la pensée saugrenue qui m'était tombée dessus en apercevant le soleil. Quelle idée. d'avoir envie d'aller se balader puis de le faire. Virginie dormait. Haleine chargée de la veille. Elle avait été suffisamment ivre pour avoir envie de faire l'amour avant de s'endormir. Oui, c'était une belle journée qui commençait, que je croyais, tout guilleret.

Le flic n'arrêtait pas de me dire : Écoutez... Vous n'avez aucun alibi... Faites un effort, mon vieux. Vous trouvez un corps... Paumé dans une forêt. Introuvable. Comprenez-nous, aussi. C'est normal qu'on vous garde sous la main pendant que nous faisons les premières investigations... Non ? De toutes façons, c'est la procédure et les statistiques sont imparabables. La plupart du temps, les gens qui alertent sont ceux qui ont commis le crime. C'est plus fort que vous, ça. Faut que ça se sache. Et il souriait comme d'autres grimacent.

Non, je ne trouvais pas que cela soit normal mais je fermais mon clapet. Je n'étais pas convaincu non plus que ce soit la procédure. De toutes façons, je n'essayais plus de parlementer. Ça serait sûrement retenu contre moi. Il m'avait dit : Je ne sais pas si vous avez raison de me prendre de haut, Monsieur Martin. Je ne veux pas vous donner de conseils, vous m'avez l'air malgré tout un type intelligent. Mais je serais vous, je ferais moins le fanfaron.

J'avais opté pour cette solution. Après tout, je ne maitrisais rien dans tout ça. J'avais essayé de le convaincre que je faisais au mieux. Il n'avait que son rictus. Je me demandais s'ils étaient formés pour ça, aussi. Cours de rictus. Avec des profs de rictus. Il parlait avec tous ses doigts noués les uns dans les autres et les yeux plongés sur ses chaussures. Un paquet de nerf, ce type. Il me faisait peur. Et il le sentait. C'est instinctif, ces cinglés. Il tapotait son bureau avec son stylo. Il avait noté que ça me crispait même si j'étais assez étonné par ma résistance. Mes limites semblaient dépassées depuis longtemps et je tenais bon. Peut-être bien que j'avais lâché la partie. J'étais tombé sur un barjot, ça ne me plaisait pas plus que ça, j'attendais que son collègue revienne et je savais que d'ici là, je n'avais rien à espérer. Je savais reconnaître un psychorigide dans son bon droit. Ce sont les pires. Surtout ceux qui se cachent derrière une normalité, un uniforme, voire les deux.

Je sentais qu'en deux secondes, il avait vu la pub qu'il allait pouvoir se faire (un crime, un suspect, un condamné, le tout en une demi-journée) et les grades qui pourraient le hisser dans la hiérarchie (le changement de voiture, le bureau plus grand, les regards des voisins), et je sentais que de ce côté-là, j'étais plus que mal barré. Une bonne fois pour toute, j'avais conclu que cette journée était foutue. Ils m'avaient confisqué le portable. Virginie ne devait pas capter ce qu'il se passait au cas où elle ait émergé de sa soirée. Je n'en étais pas sûr. J'avais faim. J'avais eu le droit de passer un coup de téléphone. Ça avait sonné occupé. Rictus avait décrété que j'avais passé mon coup de fil. Connard.

Alors que je me demandais s'il avait des lingettes hypoallergéniques dans l'un de ses tiroirs, pendant que mon dos me faisait souffrir sur cette chaise mal ficelée, il répondait, lui, au téléphone. De temps à autres, il me fixait, sa voix changeait, sa position aussi. Je n'aimais pas ça. Il adorait. Je n'aimais pas ça du tout. Je tentai l'éthique. Comme on jette ses dernières forces dans la bataille juste pour se dire qu'on a tout tenté. En France, ou alors j'ai raté une marche, ou alors on ne m'a pas prévenu, il existe un truc qui s'appelle la présomption d'innocence, il me semble. Vous n'avez pas le droit de me garder ici. J'exige de parler à votre supérieur !

Il se frisait la moustache, souriait, pensant sûrement : Certes, certes... Alors il m'a dit : Ce n'est pas aussi simple que cela, Monsieur Martin. Et puis je n'aime pas le ton que tu utilises (il était passé d'un coup au tutoiement après le dernier coup de fil, j'avais sûrement gagné mes galons de suspect). Le supérieur, ici, c'est moi. Et c'est clair, limpide : tes empreintes sont partout. Tu n'as aucun alibi. Et il semblerait que tu connaissais la victime.Le mieux, c'est que tu te mettes à tables, on gagnera tous notre temps.

Quoi ? Comment ? Qu'est-ce que vous dites ? Comme un vautour qui fond sur sa proie, la chair de poule m'était tombée dessus d'un coup. Je devins statue. Il jubilait. Je paniquais. Putain. C'est qui ? Il enfonça le clou. Oui, oui, c'est ça, tu n'es pas le premier tu sais. Ne fais pas le mariole, j'en vois des dizaines comme toi tous les jours, mon gars. Il s'était redressé. Dans sa tête, il avait gagné des centimètres et m'en avait enlevé quelques uns. Je lâchai pas le morceau, tout à ma stupeur. Un serpent sera venu se balader que je ne l'aurais même pas vu. Je sortis un drôle de bruit de ma gorge avec ces mots dedans : Mais c'est qui la victime ? Je pensais à Virginie, bien sûr. Je me creusais le ciboulot, sinon. Le con. Il arrivait à me faire douter. Et ce sang sur tes mains, tes habits... Virginie ? Ce serait possible ? J'avais le palpitant qui s'était de nouveau accéléré. Je secouais ma mémoire dans tous les sens. Je cherchais qui avait pu disparaître, quand, qui m'avait laissé sans nouvelles. Rien. Absolument rien. Il enfonça de nouveau le clou et me refusa juste après un verre d'eau. Je n'ai pas le droit de te dire pour l'instant qui est la personne que tu as découverte. En l'état de nos connaissances actuelles. Sache juste que je représente l'ordre public, j'ai prêté serment, et j'ai d'excellentes raisons de penser que tu es mouillé dans cette affaire jusqu'au cou, Monsieur Martin.

(silence qu'il fait durer) (Inspiration longue et appuyer) (Resilence) (Claquement de bouche) (Souffle coupé de mon côté) D'ailleurs, à partir de maintenant, vous êtes en garde-à-vue (il avait repris le vouvoiement au moment où un de ses collègues était entré pour noter). Vous n'allez pas tarder à être mis en examen. J'attends le coup de fil du juge d'une seconde à l'autre. Je note. 15 h 23. Cellule.


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