La décision du président de la République constitue, une véritable rupture, un changement profond tant en matière de défense que de politique étrangère Notre pays a une position originale dans l’Alliance atlantique, en ayant quitté le commandement militaire intégré tout en étant resté membre politique : participation de nos forces aux côtés de celles de nos alliés en cas d’emploi décidé en commun et autonomie de décision des autorités
françaises.
Cette position a fait jusqu’ici consensus en France. Prise en 1966 à l’initiative du général de Gaulle, avec la décision de retirer la France du commandement militaire intégré, elle a été confirmée par François Mitterrand en 1981.
Le principe d’autonomie de nos choix diplomatiques et stratégiques voulu par le général de Gaulle après la constitution de nos forces nucléaires a été forgé au moment de la guerre froide. Il n’a cessé d’être réaffirmé et mis en oeuvre ensuite. Il n’est pas caduc aujourd’hui. Pour autant, la solidarité avec nos alliés a toujours été la règle dans les grandes crises internationales.
Dans un monde plus que jamais incertain, la France doit garder une libre appréciation des réalités internationales et y jouer pleinement son rôle sans devoir automatiquement s’aligner sur la posture américaine au nom de la solidarité transatlantique. Pour la plupart des pays, l’autonomie affichée de la France lui confère une dimension particulière et constitue un élément de sa force politique. On a vu combien cette liberté d’appréciation et d’action était précieuse dans l’affaire irakienne.
Elle le reste indéniablement dans le monde arabe et dans bien d’autres parties du monde. Certes une réinsertion de la France a été amorcée en 1994 lors de l’intervention en Bosnie. Depuis lors, la France a, en 1995, repris sa place au comité militaire et nos forces (en Afghanistan ou au Kosovo) ont été régulièrement placées sous les ordres d’états-majors alliés subordonnés de l’État-major suprême de l’alliance. Pour autant, la France a toujours cherché à concilier l’indépendance de ses choix militaires, ses ambitions en faveur de la défense européenne et la nécessaire solidarité transatlantique quand nous décidions de nous engager dans une opération conduite par l’Otan.
Et nous sommes encore dans une situation particulière : nous ne participons ni au comité des plans de défense, ni au groupe des plans nucléaires de l’alliance - l’autonomie de notre dissuasion nucléaire est stratégiquement indissociable d’une décision et d’une appréciation sans partage quant aux menaces sur nos intérêts vitaux - nous n’exerçons aucune responsabilité hiérarchique de haut niveau dans la structure militaire permanente et négocions au cas par cas les règles d’engagement des unités déployées sous la bannière de l’Otan. C’est loin d’être négligeable !
La France est forte de cette position particulière au sein de l’Alliance qui a l’avantage de ne plus faire débat en politique intérieure et qui est tout à fait admise par les Américains. Pourquoi en changer aujourd’hui ?
Qu’est-ce qui aujourd’hui justifie un changement de notre part ?
Qu’est-ce qui pourrait justifier aujourd’hui un changement de la position de la France ? Pire, un changement qui affecterait notre identité nationale ?
Rien ne justifie aujourd’hui sur le fond notre retour
- le rôle et les objectifs de l’Otan restent flous. L’alliance militaire est parfois perçue comme menaçante et la tendance est à « militariser » par le biais de l’Otan toutes les questions de sécurité (sécurité énergétique, environnement) ;
- son champ géographique s’est élargi sans que l’on sache à quoi il correspond vraiment ;
- l’unilatéralisme militaire pratiqué par l’équipe Bush a poussé l’Otan à agir comme si l’alliance était devenue le « bras armé des croisades de l’occident » et l’on connaît les résultats désastreux de cette politique ;
- Pour nous-mêmes la réintégration présente concrètement peu d’avantages
- Notre retour signifie-t-il un regain d’influence pour notre pays au sein de l’Otan ?
Apparemment pas, alors que la position actuelle de la France lui permet de définir au cas par cas les conditions d’engagement et de contrôle des unités qu’elle place sous l’autorité de l’Otan. Lors de la campagne aérienne du Kosovo en 1999, nous avons exigé d’avoir connaissance de la planification des frappes, nous avons exercé notre droit de regard sur les missions, non seulement pour décider ou non de l’intervention de nos avions, mais aussi pour empêcher certaines frappes trop lourdes pour les populations. C’est au niveau le plus haut de l’État que cette exigence politique s’exprimait, justement parce qu’il ne pouvait, du fait de notre statut spécifique, y avoir d’accord militaire préalable à une planification complète. Les décisions politiques françaises étaient relayées par la voie
militaire. Cet avantage exorbitant disparaîtra lorsque nous deviendrons des acteurs ordinaires de la planification militaire.
On voit bien aujourd’hui combien une telle exigence serait nécessaire en Afghanistan. Cet argument est très fort au moment où nous sommes confrontés à la fois à la situation en Afghanistan et à la question des limites géographiques de l’Otan.
- Ce n’est pas le renforcement du nombre d’officiers français dans les états-majors de l’Otan qui va compenser l’affaiblissement de la capacité de notre pays à peser de l’extérieur sur les décisions militaires concernant l’emploi des forces. Pire, nous risquons de perdre notre indépendance car il sera difficile de s’opposer à des opérations militaires que des officiers français auront planifiées. Il faut rappeler que Jacques Chirac avait tenté, entre 1995 et 1997, une réintégration complète à la condition de se voir confier le commandement de Naples. Rien de significatif n’a été obtenu des Américains. Rien ne dit que ce serait différent aujourd’hui. Bien au contraire !
- Notre retour au sein du commandement militaire a aussi un coût budgétaire évalué à 80 M€, auxquels il faut sans doute ajouter une nouvelle augmentation des crédits au titre des OPEX. Au moment où l’on sacrifie tant le format de nos armées que son équipement au nom de la révision générale des politiques publiques et des économies budgétaires, accroître ainsi les charges conduira inéluctablement à couper encore plus dans les budgets d’investissement.
On voit bien aujourd’hui que le président de la République a décidé de bouger au mauvais moment, alors que l’Otan ne change pas. Il n’est plus question de revendications ou de contreparties, mais bien de normaliser la
situation de notre pays, de le banaliser. On rentre sans condition. C’est un alignement sans condition.
Aujourd’hui, c’est moins la place de la France dans l’Otan qu’il est urgent de clarifier que le rôle et le fonctionnement futurs de l’Alliance dans une période marquée par les tensions et les crises internationales dont les caractéristiques ont évolué.
Le retour dans l’Otan est une menace pour l’Europe de la défense Seule l’autonomie de nos armées et de nos états-majors garantit la possibilité de construire de façon autonome une défense européenne. Certes en liaison avec l’Otan, mais sans lui être subordonnée.
Pour nous, ce qu’il faut faire, c’est relancer avec détermination la défense européenne comme cela a été fait entre 1998 et 2001 (des accords de Saint-Malo à la déclaration de Laeken). Or, il n’y a pas aujourd’hui de dynamique favorable à l’Europe de la défense comme le montre le très mauvais bilan de la Présidence Française de l’Union européenne.
Ce n’est pas la position de la France face au commandement intégré de l’Otan qui bloque la défense européenne. En revanche, la normalisation de notre statut dans l’alliance ne renforce pas la cohésion européenne. On peut même craindre que notre retour au sein de l’Otan soit pour nos voisins le signal d’une moindre priorité donnée à la défense européenne.
Pour nos industries de défense et pour les emplois de ce secteur, la « normalisation » impliquera le triomphe sans partage d’une intégration dans les normes et standards américains.
Conclusion
On voit bien à quel point cette décision présente que peu d’avantages pour la France. Est-ce une façon de cacher sans le dire la réduction programmée des moyens en confiant aux Américains le soin de payer pour la défense de
l’Europe ?
En tout état de cause, il s’agit plus d’un alignement, d’une banalisation de notre pays que de l’affirmation d’une véritable identité de la France au plan international.
À tout le moins on n’imagine pas qu’une telle décision soit prise sans un large débat au Parlement. C’est une nouvelle illustration de la méthode brouillonne du président de la République : décision hâtive, prise au mauvais moment, sans aucune concertation et sans contrepartie. Et sans connaître l’attitude de la nouvelle administration américaine sur le rôle de l’Otan et des alliés. L’impatience de devenir le Tony Blair de Barack Obama ne justifie pas de sacrifier les intérêts de la France et des Français.
Parti Socialiste